Résumé
En contexte d'itinérance, la notion
de choix peut avoir un effet stigmatisant sur les
personnes et contribuer à leur mise à l'écart.
Il semble que dès qu'il s'agit d'un choix, la
responsabilité sociale face à la réalité de
l'itinérance et de ses composantes ne soit plus
prise en compte. Les trajectoires de vie de ces
femmes sont diverses et par ailleurs, bon nombre
d'entre elles ne s'identifient pas à un vécu
d'itinérance. Ainsi, dans bien des cas, ne
devrait-on pas parler d'absence de choix ou à
certains égards, d'espace(s) de choix ? La
difficulté de faire valoir sa citoyenneté dans
un tel contexte apparaît de façon évidente. Introduction
D'abord je me présente avant
d'introduire le sujet de mon intervention.
Depuis à peine un mois,
j'occupe le poste de coordonnatrice à la
Fédération de ressources d'hébergement pour
femmes violentées et en difficulté du Québec.
Auparavant, j'étais organisatrice communautaire
au Réseau d'aide aux personnes seules et
itinérantes de Montréal, le RAPSIM. C'est à ce
titre que je prendrai la parole aujourd'hui.
C'est dans mon expérience récente, au RAPSIM
que j'ai pu développer les réflexions que je
vais partager avec vous. Nous avons mis sur pied
un comité femmes itinérantes à l'automne 1998.
Ce comité est formé d'intervenantes des groupes
membres travaillant auprès des femmes.
D'emblée, plusieurs préoccupations ont été
soulevées face à la réalité des femmes
rencontrées dans leur ressource.
Ma
présentation abordera la question du choix dans
un contexte d'itinérance. Je vais tenter de vous
démontrer comment cette notion relève, à mon
sens, d'un mythe, et comment son utilisation
présente des effets néfastes importants pour
les personnes concernées. Plus
particulièrement, je me suis intéressée aux
difficultés que rencontrent les femmes à faire
valoir leur droit lorsque leur supposé
choix de vie les exclues
de la citoyenneté.
Il
n'est d'ailleurs pas simple de parler de la
réalité des femmes itinérantes car il existe
très peu d'études. Quelques études
américaines mais peu d'études québécoises et
canadiennes nous parlent de l'itinérance au
féminin. C'est pourquoi le comité femmes du
RAPSIM a collaboré à un projet de recherche
actuellement en cours au CRI, sous la direction
de Danielle Laberge et Shirley Roy. Cette
recherche porte sur L'itinérance
au féminin : processus d'appauvrissement et
descente à la rue .
Elle
a pour objectif de connaître la réalité des
femmes en fonction de leurs trajectoires. Les
résultats de cette démarche pourront outiller
et documenter les ressources face aux réalités
spécifiques de ces femmes ; une
réalité qui, faut-il le souligner, est bien
souvent occultée et oubliée, quand on parle
d'itinérance dans son ensemble. La
participation des membres du Comité a été
essentielle à ce projet. Elle a d'abord permis
de valider les objets de recherche, de rejoindre
les femmes pour les entrevues et de maintenir les
liens avec l'équipe de recherche.
En parallèle, nous avons
poursuivi notre réflexion au sein du Comité
femmes itinérantes du RAPSIM. Plusieurs
objectifs ont dès le départ retenues notre
attention :
- dénoncer les mythes
concernant l'itinérance des
femmes ;
- faire connaître leur
réalité spécifique ;
- dénoncer la violence
qu'elles vivent, à tous les
niveaux ;
- informer les femmes de
leurs droits, face aux lois notamment.
J'aborderai
ces quatre volets dans ma présentation pour
discuter de la notion de choix.
Dénoncer les mythes concernant
l'itinérance des femmes
Le phénomène des
femmes itinérantes est un phénomène moins
spectaculaire que celui des hommes ou encore
celui des jeunes. C'est pour cette raison que
nous devons y porter davantage attention. Je ne
veux pas faire ici la démonstration ni insister
sur les différences entre l'itinérance des
femmes et des hommes mais plutôt montrer comment
s'exercent le genre et les rapports sociaux de
sexe dans la construction du phénomène.
Il nous est apparu,
en comité, que le fait d'être femme et de vivre
la rue, bien qu'ayant des points de convergence
avec l'itinérance dans son ensemble, présentait
des aspects bien distincts, au quotidien. Nous
avons d'abord cherché à identifier les mythes
et les idées préconçues qui entourent cette
réalité pour évaluer les effets sur les
femmes. En général, ces idées préconçues
tiennent peu compte des réalités vécues comme
la violence, la pauvreté, la toxicomanie et les
problèmes de santé mentale et physique.
À travers les
multiples pistes qui s'offraient, la notion de
choix, Choisir la rue
nous est apparue comme faisant problème. Bien
souvent nous pouvons entendre que ces personnes,
ces femmes en l'occurrence, ont choisi de vivre
dans la rue, telle une vision romantique de
liberté et de vie hors contrainte. Mais CHOISIR,
c'est d'abord avoir des options !
Quelles sont les
options que l'on offre aux femmes ?
Lorsqu'on aura fait cette évaluation, nous
pourrons alors nous demander si la rue est
vraiment un espace de choix ?
Faire connaître leur réalité
spécifique
Leur manière
d'occuper l'espace traduit bien les rapports
sociaux de sexe existants. Elles se font
discrètes, lorsque cela leur est possible. Moins
visible, leur situation apparaît donc moins
spectaculaire. Cette invisibilité nous donne
souvent l'impression qu'il n'y a pas beaucoup de
femmes itinérantes. Pourtant les dernières
données de Santé Québec dans le recensement de
1996-97 révèlent qu'à Montréal, 25 % de
femmes fréquentent les ressources d'aide, tels
les centres de jour, les soupes populaires et les
maisons d'hébergement. Cependant, ces chiffres
n'indiquent qu'une partie de cette population.
Nous pouvons penser
que d'autres n'utilisent pas ces ressources, mais
vivent isolées et de façon extrêmement
précaire. Cette invisibilité rend difficile
également le regard qu'on peut poser sur leur
situation afin de rendre compte de leur réalité
spécifique.
Le manque de
visibilité camoufle des détresses multiples qui
sont accentuées par le manque d'accès à
différents services auxquels elles auraient
droit en tant que citoyenne.
Comme point de
départ des trajectoires d'itinérance, on
retrouve de grandes difficultés économiques.
Les femmes n'en sont pas exemptes au contraire,
elles composent souvent avec l'extrême
pauvreté. J'ai parfois l'impression que la
pauvreté des femmes est une idée tellement
acquise et véhiculée, que l'on tend à
minimiser ce facteur quand on parle
d'itinérance. Pourtant la pauvreté est à
l'origine de bien des
maux . La pauvreté n'est
pas qu'un concept, c'est une réalité. Il ne
s'agit pas d'une cause unique à l'itinérance,
mais elle en est une détermination importante.
D'autre part, la
rupture sociale, la rupture des liens peut
s'avérer un moment décisif dans la trajectoire
de vie d'une personne et la placer dans une
situation de précarité extrême pouvant mener
à la rue. Les trajectoires de vie de ces femmes
nous le démontrent. Elles ont des parcours
divers mais un même point de chute.
Dénoncer la violence qu'elles
vivent, à tous les niveaux
La violence figure
parmi les constats les plus difficiles et
troublants de leur vécu présent et passé. La
violence module le parcours pour bon nombre
d'entre elles. On parle de toutes les formes de
violence : économique, physique, verbale,
psychologique et sociale. La rue est dangereuse
et elles doivent composer avec cette réalité
quotidiennement. Mais aussi, la peur des
institutions telle une menace les prive souvent
d'agir afin de faire valoir leurs droits. Les
mauvaises expériences passées avec la police,
la justice, le réseau de la santé, l'aide
sociale ont souvent laissé des marques
importantes et les isole d'autant plus.
Informer les
femmes de leurs droits face aux lois
Bien que
concrètement nous le sachions, le choix de la
rue est loin de représenter cette liberté de
choix, cette croyance demeure difficile à
défaire dans l'opinion publique. Il y a des
précédents à la rue. La vie d'une personne
peut être si intolérable que la rue et
l'errance représente la moins pire des
solutions, une alternative envisageable, mais non
un choix libre.
Les trajectoires de
femmes sont diverses et interrogent même cette
réalité de l'itinérance auxquelles plusieurs
refusent de s'y identifier. Il s'agit plutôt
d'une perception et d'une étiquette qui leur est
apposée. Enfermées dans cette situation de
précarité et d'itinérance, poussées dans leur
dernier retranchement, il est très difficile de
développer ou de reprendre contact avec
certaines habiletés sociales.
L'autonomie est
difficile à faire valoir, même si la volonté
est présente. Où est donc le choix devant cette
norme sociale ? Ne faudrait-il pas parler
d'absence de choix ou à certains égards,
d'espace(s) de choix ?
Il faut interroger la
valeur effective de la citoyenneté pour ces
femmes. La notion de choix peut avoir un effet
stigmatisant sur elles et contribuer à leur mise
à l'écart. Il semble que dès qu'il s'agit d'un
choix, la responsabilité sociale face à la
réalité de l'itinérance et de ses composantes
soit écartée. L'individu ne fait plus le choix
devant une norme imposée ; il s'agit d'un
choix socialement déterminé. La notion de choix
utilisée pour parler de contexte de vie de
personnes itinérantes est une notion
anti-solidaire. Le choix qui existe est celui des
moyens et non celui des options. Ex. : aller
dans une ressource ou pas, choisir entre avoir un
logement ou manger, prendre ses médicaments, se
payer des cigarettes, etc. Est-ce là un réel
choix ?
Nous n'avons qu'un
seul choix, c'est un choix de société.
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