Actes des colloques du CRI


  • Mythes, contraintes et pratiques
    00/06/09

    Choisir la marginalité


    Marie-Josée Lamarre
    Organisatrice communautaire
    RAPSIM
    "Choisir la rue : au-delà du mythe, les difficultés d'être citoyenne "

Résumé

En contexte d'itinérance, la notion de choix peut avoir un effet stigmatisant sur les personnes et contribuer à leur mise à l'écart. Il semble que dès qu'il s'agit d'un choix, la responsabilité sociale face à la réalité de l'itinérance et de ses composantes ne soit plus prise en compte. Les trajectoires de vie de ces femmes sont diverses et par ailleurs, bon nombre d'entre elles ne s'identifient pas à un vécu d'itinérance. Ainsi, dans bien des cas, ne devrait-on pas parler d'absence de choix ou à certains égards, d'espace(s) de choix ? La difficulté de faire valoir sa citoyenneté dans un tel contexte apparaît de façon évidente.

Introduction

D'abord je me présente avant d'introduire le sujet de mon intervention.

Depuis à peine un mois, j'occupe le poste de coordonnatrice à la Fédération de ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec. Auparavant, j'étais organisatrice communautaire au Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, le RAPSIM. C'est à ce titre que je prendrai la parole aujourd'hui. C'est dans mon expérience récente, au RAPSIM que j'ai pu développer les réflexions que je vais partager avec vous. Nous avons mis sur pied un comité femmes itinérantes à l'automne 1998. Ce comité est formé d'intervenantes des groupes membres travaillant auprès des femmes. D'emblée, plusieurs préoccupations ont été soulevées face à la réalité des femmes rencontrées dans leur ressource.

Ma présentation abordera la question du choix dans un contexte d'itinérance. Je vais tenter de vous démontrer comment cette notion relève, à mon sens, d'un mythe, et comment son utilisation présente des effets néfastes importants pour les personnes concernées. Plus particulièrement, je me suis intéressée aux difficultés que rencontrent les femmes à faire valoir leur droit lorsque leur supposé “ choix ” de vie les exclues de la citoyenneté.

Il n'est d'ailleurs pas simple de parler de la réalité des femmes itinérantes car il existe très peu d'études. Quelques études américaines mais peu d'études québécoises et canadiennes nous parlent de l'itinérance au féminin. C'est pourquoi le comité femmes du RAPSIM a collaboré à un projet de recherche actuellement en cours au CRI, sous la direction de Danielle Laberge et Shirley Roy. Cette recherche porte sur “ L'itinérance au féminin : processus d'appauvrissement et descente à la rue ”.

Elle a pour objectif de connaître la réalité des femmes en fonction de leurs trajectoires. Les résultats de cette démarche pourront outiller et documenter les ressources face aux réalités spécifiques de ces femmes ; une réalité qui, faut-il le souligner, est bien souvent occultée et oubliée, quand on parle d'itinérance dans son ensemble. La participation des membres du Comité a été essentielle à ce projet. Elle a d'abord permis de valider les objets de recherche, de rejoindre les femmes pour les entrevues et de maintenir les liens avec l'équipe de recherche.

En parallèle, nous avons poursuivi notre réflexion au sein du Comité femmes itinérantes du RAPSIM. Plusieurs objectifs ont dès le départ retenues notre attention :

  • dénoncer les mythes concernant l'itinérance des femmes ;
  • faire connaître leur réalité spécifique ;
  • dénoncer la violence qu'elles vivent, à tous les niveaux ;
  • informer les femmes de leurs droits, face aux lois notamment.

J'aborderai ces quatre volets dans ma présentation pour discuter de la notion de choix.

Dénoncer les mythes concernant l'itinérance des femmes

Le phénomène des femmes itinérantes est un phénomène moins spectaculaire que celui des hommes ou encore celui des jeunes. C'est pour cette raison que nous devons y porter davantage attention. Je ne veux pas faire ici la démonstration ni insister sur les différences entre l'itinérance des femmes et des hommes mais plutôt montrer comment s'exercent le genre et les rapports sociaux de sexe dans la construction du phénomène.

Il nous est apparu, en comité, que le fait d'être femme et de vivre la rue, bien qu'ayant des points de convergence avec l'itinérance dans son ensemble, présentait des aspects bien distincts, au quotidien. Nous avons d'abord cherché à identifier les mythes et les idées préconçues qui entourent cette réalité pour évaluer les effets sur les femmes. En général, ces idées préconçues tiennent peu compte des réalités vécues comme la violence, la pauvreté, la toxicomanie et les problèmes de santé mentale et physique.

À travers les multiples pistes qui s'offraient, la notion de choix, “ Choisir la rue ” nous est apparue comme faisant problème. Bien souvent nous pouvons entendre que ces personnes, ces femmes en l'occurrence, ont choisi de vivre dans la rue, telle une vision romantique de liberté et de vie hors contrainte. Mais CHOISIR, c'est d'abord avoir des options !

Quelles sont les options que l'on offre aux femmes ? Lorsqu'on aura fait cette évaluation, nous pourrons alors nous demander si la rue est vraiment un espace de choix ?


Faire connaître leur réalité spécifique

Leur manière d'occuper l'espace traduit bien les rapports sociaux de sexe existants. Elles se font discrètes, lorsque cela leur est possible. Moins visible, leur situation apparaît donc moins spectaculaire. Cette invisibilité nous donne souvent l'impression qu'il n'y a pas beaucoup de femmes itinérantes. Pourtant les dernières données de Santé Québec dans le recensement de 1996-97 révèlent qu'à Montréal, 25 % de femmes fréquentent les ressources d'aide, tels les centres de jour, les soupes populaires et les maisons d'hébergement. Cependant, ces chiffres n'indiquent qu'une partie de cette population.

Nous pouvons penser que d'autres n'utilisent pas ces ressources, mais vivent isolées et de façon extrêmement précaire. Cette invisibilité rend difficile également le regard qu'on peut poser sur leur situation afin de rendre compte de leur réalité spécifique.

Le manque de visibilité camoufle des détresses multiples qui sont accentuées par le manque d'accès à différents services auxquels elles auraient droit en tant que citoyenne.

Comme point de départ des trajectoires d'itinérance, on retrouve de grandes difficultés économiques. Les femmes n'en sont pas exemptes au contraire, elles composent souvent avec l'extrême pauvreté. J'ai parfois l'impression que la pauvreté des femmes est une idée tellement acquise et véhiculée, que l'on tend à minimiser ce facteur quand on parle d'itinérance. Pourtant la pauvreté est à l'origine de bien des “ maux ”. La pauvreté n'est pas qu'un concept, c'est une réalité. Il ne s'agit pas d'une cause unique à l'itinérance, mais elle en est une détermination importante.

D'autre part, la rupture sociale, la rupture des liens peut s'avérer un moment décisif dans la trajectoire de vie d'une personne et la placer dans une situation de précarité extrême pouvant mener à la rue. Les trajectoires de vie de ces femmes nous le démontrent. Elles ont des parcours divers mais un même point de chute.


Dénoncer la violence qu'elles vivent, à tous les niveaux

La violence figure parmi les constats les plus difficiles et troublants de leur vécu présent et passé. La violence module le parcours pour bon nombre d'entre elles. On parle de toutes les formes de violence : économique, physique, verbale, psychologique et sociale. La rue est dangereuse et elles doivent composer avec cette réalité quotidiennement. Mais aussi, la peur des institutions telle une menace les prive souvent d'agir afin de faire valoir leurs droits. Les mauvaises expériences passées avec la police, la justice, le réseau de la santé, l'aide sociale ont souvent laissé des marques importantes et les isole d'autant plus.


Informer les femmes de leurs droits face aux lois

Bien que concrètement nous le sachions, le choix de la rue est loin de représenter cette liberté de choix, cette croyance demeure difficile à défaire dans l'opinion publique. Il y a des précédents à la rue. La vie d'une personne peut être si intolérable que la rue et l'errance représente la moins pire des solutions, une alternative envisageable, mais non un choix libre.

Les trajectoires de femmes sont diverses et interrogent même cette réalité de l'itinérance auxquelles plusieurs refusent de s'y identifier. Il s'agit plutôt d'une perception et d'une étiquette qui leur est apposée. Enfermées dans cette situation de précarité et d'itinérance, poussées dans leur dernier retranchement, il est très difficile de développer ou de reprendre contact avec certaines habiletés sociales.

L'autonomie est difficile à faire valoir, même si la volonté est présente. Où est donc le choix devant cette norme sociale ? Ne faudrait-il pas parler d'absence de choix ou à certains égards, d'espace(s) de choix ?

Il faut interroger la valeur effective de la citoyenneté pour ces femmes. La notion de choix peut avoir un effet stigmatisant sur elles et contribuer à leur mise à l'écart. Il semble que dès qu'il s'agit d'un choix, la responsabilité sociale face à la réalité de l'itinérance et de ses composantes soit écartée. L'individu ne fait plus le choix devant une norme imposée ; il s'agit d'un choix socialement déterminé. La notion de choix utilisée pour parler de contexte de vie de personnes itinérantes est une notion anti-solidaire. Le choix qui existe est celui des moyens et non celui des options. Ex. : aller dans une ressource ou pas, choisir entre avoir un logement ou manger, prendre ses médicaments, se payer des cigarettes, etc. Est-ce là un réel choix ?

Nous n'avons qu'un seul choix, c'est un choix de société.



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