Actes des colloques du CRI


  • Mythes, contraintes et pratiques
    00/06/09

    Envahir l'espace


    Réjean Dragon
    Travailleur de milieu
    Projet Dialogue
    YMCA Centre-Ville Montréal
    "La collaboration possible entre les différents acteurs du milieu"

Résumé

Comment peut-on réussir une collaboration qui soit satisfaisante pour toutes les parties impliquées ?
Existe-t-il des conditions qui facilitent les relations?
À l'aide du témoignage de M. Breton, un marchand qui a pignon sur rue, nous tenterons d'explorer certaines de ces conditions.

Introduction
M. Guy Breton [1], artisan, qui vend des bijoux comme marchand de rue sur Ste-Catherine, m'a fait part d'une expérience de collaboration vécue avec un autre membre de la communauté. Soit, un itinérant du Cantre-Ville.

Depuis un certain temps, M. Breton entretenait une relation amicale avec M. Jean Rivard, un mendiant qui “ quêtait ” sur le coin de rue opposé à son kiosque. Un jour, ce dernier disparaît en emportant le portefeuille de la fille de M. Breton laquelle avait laissé son sac à main dans le kiosque.

M. Breton trouvait regrettable que cet homme soit privé de son coin de rue et ainsi, de son lieu d'appartenance. Selon M. Breton, cet espace représentait plus qu'un gagne pain : c'était le lieu de socialisation de cet homme.

M. Breton a fait rechercher Jean par ceux qui le connaissaient afin de lui parler, de récupérer l'argent et aussi pour lui permettre de revenir sur son coin de rue.

Lors de cette rencontre, Guy a expliqué à Jean que sa fille ne pouvait se permettre de perdre un tel montant. Il lui a demandé s'il connaissait une façon de régler le problème. Ce dernier lui a suggéré de payer un petit montant au début de chaque mois. Malgré quelques retards, l'entente a été respectée et Jean a pu réintégrer son lieu d'appartenance, son coin de rue.

Reprenons maintenant l'exemple de l'expérience de collaboration entre Guy (M. Breton) et Jean (M. Rivard) en illustrant chacune des conditions d'une bonne collaboration.

Les conditions d'une bonne collaboration (étape 1)

  • Établir une relation et montrer qu 'elle est importante.
  • Se mettre à la place de l 'autre. Bien écouter pour entendre.
  • Comprendre les intérêts derrière les positions.
  • Trouver les intérêts communs.

Établir une relation et montrer qu'elle est importante
Guy a établi une relation avec Jean et il lui a signifié que cette relation était plus importante que le problème.

Se mettre à la place de l 'autre. Bien écouter pour entendre
Guy s'est mis à la place de Jean pour comprendre ce qu'il perdait en quittant son coin de rue. Il a aussi écouté Jean lorsque ce dernier lui a expliqué qu'il ne comprenait son geste et qu'il le regrettait.

Comprendre les intérêts derrière les positions

Jean avait un besoin de “ consommer ”, mais avant tout il a besoin de son milieu d'appartenance. Guy voulait récupérer l'argent, mais il désirait aussi que son milieu de vie demeure convivial et sécuritaire. Si ce dernier ne s'était tenu qu'à la position “ je veux mon argent un point c'est tout ”, il aurait téléphoné à la police. Et, fort probablement qu'il n'aurait jamais revu ni son argent ni Jean et, le “ milieu ” lui serait devenu hostile.

Trouver les intérêts communs
Comme intérêts communs, on peut dire que tous deux voulaient vivre en harmonie et en paix dans cet espace urbain.

Les conditions d'une bonne collaboration (étape 2)

  • Séparer le problème de la personne.
  • Séparer le différend de la relation.
  • Etre ferme sur la question débattue et être conciliant avec les personnes.
  • Viser des solutions “ gagnant-gagnant ”.

Séparer le problème de la personne
Guy aurait pu considérer Jean comme un voleur et un sale traître. Cependant, celui-ci a plutôt considéré cet événement comme s'il s'agissait d'une erreur réparable et non pas comme si le geste de Jean le caractérisait de façon permanente comme un voleur. Il a donc séparé le geste de la personne.

Séparer le différend de la relation
Il y avait le problème et de l'autre côté, la relation. Le fait que cette dernière ayant été plus importante que le différend a permis de trouver un arrangement et de maintenir la relation.

Etre ferme sur la question à débattre et conciliant avec les personnes
Pour Guy, il n'était pas question de perdre le montant d'argent et ainsi, de se sentir lésé. Il ne voulait pas non plus briser la relation et sur ces deux points, il a été ferme.

Viser des solutions “ gagnant-gagnant ”
Tous ont été gagnants. Jean a fait amende honorable, il est retourné dans son milieu et il a constaté qu'il était possible de réparer une erreur. Guy a pu, de son côté, récupérer l'argent et rembourser sa fille.

Les conditions D'une bonne collaboration (étape 3)

  • Sauver la face “ et ne pas la faire perdre ”.
  • Intéresser l 'autre en le faisant participer au déroulement de la négociation.
  • Oublier le passé et se tourner vers l 'avenir.

Sauver la face “ et ne pas la faire perdre ”
Guy ne s'est pas senti lésé et Jean pouvait décider de la façon de réparer son geste.

Intéresser l'autre en le faisant participer au déroulement de la négociation
En demandant à Jean de trouver la solution pour résoudre ce problème, Guy lui a donné la responsabilité et l'initiative de participer à la négociation.

Oublier le passé et se tourner vers l'avenir
En considérant l'événement clos et réglé, le lien de confiance entre les deux parties s'est rétabli. Sans ce lien, la relation serait devenue tendue et finalement impossible.

LES CONDITIONS D'UNE BONNE COLLABORATION dans d 'autres contextes

  • La sécurité privée.
  • D 'institution à institution. Du communautaire à l 'institution vice-versa.

La sécurité privée

Dans le cadre du projet Dialogue, des formations ont été données aux agents de sécurité. En respectant les principes énoncés, les agents semblent plus confortables dans l'exercice de leurs fonctions. De cette façon, ils créent des liens, respectent la personne, comprennent les besoins et la vision des itinérants. Tout en demeurant conciliants avec les gens, ils demeurent fermes dans leurs négociations.

Un de ses agents expliquait qu'un jeune itinérant venait le voir la nuit et faisait la “ round ” avec lui. Peu à peu, un climat de confiance s'est installé. Durant les mois d'hiver, le gardien laissait ce dernier dormir à condition qu'il libère cette place pour une certaine heure. Après un certain temps, le gardien a référé ce jeune itinérant pour une cure de désintoxication et, celui-ci s'est rétabli.

D'institution à institution. Du communautaire à l'institution et vice-versa
Dans certain cas, les institutions se réfèrent des clients sans se connaître et sans avoir établi une relation de personne à personne.

Certains désaccords peuvent alors survenir et stigmatiser l'institution : les maudits CLSC ou organismes communautaires. Par contre, lorsque les transactions sont faites après avoir établi une relation avec la réceptionniste, c'est-à-dire en s'adressant à la personne et non pas à une identité abstraite, la négociation est beaucoup plus aisée surtout en cas de conflit.

Cette même règle s'applique lors des relations d'institution à institution.

LES CONDITIONS D'UNE BONNE COLLABORATION ET SES Bienfaits

Considérer l 'autre dans sa négociation et ses avantages

  • S 'assurer d 'être bien entendu en entendant l 'autre.
  • Rendre la situation plus “ humaine ” et personnalisée.
  • Augmenter les chances de voir ses intérêts servis et la relation s 'améliorer.

S'assurer d'être bien entendu en entendant l'autre
On peut voir dans les exemples précédents, qu'être dans une position d'entendre l'autre est crucial. Si j'ai l'impression que l'autre ne tienne pas compte de moi et de mes intérêts, je serai fermé à tout ce qui vient de lui. Par contre, si j'ai l'impression d'avoir été entendu et compris, je deviens disponible à écouter à mon tour.

Rendre la situation plus “ humaine ” et personnalisée
Dans tous les exemples cités le fait d'apprendre à connaître “ l'autre ” et de créer une relation permet d'humaniser le processus de négociation.

Augmenter les chances de voir ses intérêts servis et la relation s'améliorer
Au lieu de “ perdre ”, en visant des solutions “ gagnant-gagnant ”, nous risquons non seulement de voir nos intérêts mieux servis mais aussi d'améliorer nos relations. Ce dernier élément pouvant servir à faciliter de futures négociations.

Dans l'exemple de Guy et Jean, on contaste que non seulement Guy a retrouvé un climat amical, mais la relation entre les deux personnes s'est approfondie ainsi que la relation avec les autres mendiants du coin.

Conclusion
Pour résumer, plusieurs pistes peuvent être explorées. On peut commencer par essayer d'appliquer les principes énoncés plus hauts et si ça ne fonctionne toujours pas, on peut :

  • Se fixer des critères objectifs.
  • Faire appel à un négociateur.
  • Trouver la meilleure solution de rechange.
  • Si tout échoue, quitter la relation.

Il n 'existe malheureusement pas de recette-miracle pouvant tout régler. L'ordre des étapes selon lesquelles les conditions d'une bonne collaboration sont énumérées dans ce texte n'est pas nécessairement celui qui prévaut lors de toutes les circonstances de négociations. Elles sont plutôt présentées selon la séquence de l'événement choisi en exemple. Tout différend exige un travail et une volonté de changement. Par contre, un conflit peut aussi devenir l 'occasion de faire éclater “ l 'abcès ” et permettre d 'améliorer ou d'approfondir la relation en nommant le non-dit [2].


notes

[1]. Les noms des personnages, Guy Breton et Jean Rivard, sont fictifs.

[2]. Qu 'arrive-t-il quand les intérêts semblent irréconciliables? Je vous renvoie ici à un livre duquel j'ai tiré ces principes, Comment réussir une négociation, de Roger Ficher/William Ury et Bruce Patton aux Éditions Seuil, Paris 1982.



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