CONTINENTALISATION
Cahier
de recherche 01-13
novembre
2001
Le
multilatéralisme brésilien
et
le libre-échange dans les Amériques
Sylvain F. Turcotte
Chercheur principal pour l’Amérique
latine
Groupe
de recherche sur l’économie et la sécurité
Université
du Québec à Montréal
sylvain.turcotte@umontreal.ca
Groupe de
recherche sur
l'intégration
continentale
Université du
Québec à Montréal
Département
de science politique
C.P.8888,
succ.Centre‑ville, Montréal, H3C 3P8
http://www.unites.uqam.ca/gric
Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cette publication
demeurent l’entière responsabilité de l’auteur-e et ne reflètent pas
nécessairement ceux du Groupe de recherche sur l’intégration continentale
(GRIC) ou des membres du Centre Études internationales et Mondialisation (CEIM)
Depuis le deuxième Sommet des
Amériques, tenu a Santiago du Chili en avril 1998, les enjeux entourant la
formation d'une éventuelle Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) sont
beaucoup mieux connus. La mise sur pied d'équipes de négociation regroupées
autour des différents thèmes et le début des discussions ont obligé les
principaux acteurs participant au projet des Amériques à prendre position à
l'égard du modèle d'intégration continentale que proposent les États-Unis.
Un tel projet, par la nature et la profondeur des transformations qu'il implique, ne peut être construit sans provoquer d'opposition. Si certains sont trop petits pour s'opposer à la ZLÉA, on pense ici aux pays de l'Amérique centrale et des Caraïbes, ou en situation de forte dépendance commerciale envers les États-Unis, comme le Mexique et le Canada qui n'ont qu'une très faible marge de manœuvre à l'égard du projet de libre-échange américain, d'autres ont encore les moyens de s'opposer à une éventuelle Zone de libre-échange continentale. Et comme les événements précédant le troisième Sommet des Amériques au printemps 2001 l'ont clairement montré, c'est principalement le Brésil qui cherche à faire converger l'opposition au projet commercial que Washington destine aux trois Amériques.
Avec l'agenda des
discussions qui se précise au fur et à mesure des rencontres, il est maintenant
possible de mieux évaluer le poids du Brésil dans les négociations actuelles,
ce que la réunion des ministres du Commerce des Amériques à Buenos Aires en
avril 2001 a bien illustré, les délégués brésiliens étant parvenus à faire
reculer les États-Unis, le Canada et le Chili qui voulaient raccourcir le
calendrier des négociations et faire des Amériques une zone de libre-échange
d'ici 2003. Dans ce contexte, on peut présumer que la future ZLÉA répondra en
partie aux exigences des autorités brésiliennes, très sceptiques à l'égard de
la proposition commerciale américaine.
Ce texte présente
les fondements de l'opposition brésilienne à la ZLÉA, telle qu'elle est
envisagée par les milieux qui lui sont favorables, et discute des stratégies
privilégiées par ce pays pour minimiser les pertes qu'un tel projet implique
nécessairement. Deux facteurs permettent de comprendre l'origine des réticences
brésiliennes. D'une part, le pays s'oppose au libre-échange dans les Amériques
car il entre en conflit direct avec le modèle de développement qu’il privilégie
depuis le début des années 50. En effet, la nature de l'économie brésilienne et
la spécificité de sa politique commerciale a permis le développement d'un parc
industriel complexe alimenté par un grand marché interne qui génère encore
aujourd'hui l'essentiel de la croissance économique. Dans ces conditions, on
considère que la libéralisation des échanges sur le continent risque de
remettre en question l'existence même de cette économie créée par l'État, peu
sensible aux échanges avec l'extérieur et encore aujourd'hui protégée par des
barrières tarifaires et non tarifaires importantes. La libéralisation
commerciale qu'implique le libre-échange dans les Amériques doit donc vaincre
le nationalisme économique des élites locales, toujours convaincues de la
pertinence du modèle de développement autocentré mis en place par les
gouvernements civils au milieu des années cinquante et poursuivi par le régime
militaire entre 1964 et 1980 (Souto Maior, 1993; Vinzentini).
D'autre part, la
ZLÉA limite fortement les projets politiques du gouvernement brésilien, qui
cherche de plus en plus à s'imposer comme un intermédiaire obligé dans les
débats opposant les petites économies en développement et les grands pays
industrialisés. D'un point de vue essentiellement politique, on peut considérer
que d'un statut de prépondérance régionale, atteint à la fin des années 70, le
Brésil est passé à l'étape de puissance moyenne et cherche à développer un
contre-pouvoir s'opposant aux intérêts américains en Amérique du Sud. Ce
nouveau rôle a d'ailleurs permis aux autorités brésiliennes de prendre une part
active dans les forums internationaux, autant dans les débats de nature
régionale que dans les questions d'ordre global.
Ceci a été rendu
possible car, contrairement aux autres pays de la région, le Brésil a réussi à
sortir de la crise des années 80 associée à une forte vulnérabilité externe et
à adapter son modèle de développement sans perdre son statut d'acteur politique
profitant d'une certaine projection internationale et d'une autonomie à l'égard
des grandes économies développées. En fait, la diplomatie brésilienne cherche à
éviter les situations où le pays ne pourrait intervenir politiquement face à
des transformations qui risqueraient de modifier profondément sa marge de
manœuvre tant au niveau local qu'à l'échelle mondiale (Grabendorf, 1995; Lafer,
1993; McCann).
Ces particularités
associées au statut dont profite le Brésil dans le contexte latino-américain
lui donnent les moyens de formuler une opposition dans le cadre des
négociations continentales associées à la ZLÉA. La proposition commerciale des
États-Unis visant à faire des Amérique un vaste marché vient contredire les
projets économiques et les visées politiques de Brasilia car elle remet en
question les fondements même de son modèle économique et de son statut de
puissance moyenne. Au Brésil, la politique extérieure a toujours été
directement associée à la question du développement, et la recherche de sources
locales de croissance économique a longtemps justifié la fermeture du pays aux
échanges avec l'extérieur (Seixas Corrêa, 2000, p.19). La nécessité de
préserver le résultat d'un demi-siècle de développement s'oppose donc
directement au projet continental proposé par les États-Unis.
Ce texte présente
tout d'abord la stratégie d'insertion multilatérale du Brésil, qui lui permet
une certaine indépendance économique à l'égard des grandes puissances par
l'entremise d'une politique visant la fragmentation des partenaires commerciaux
et de l'investissement étranger au pays. La question du MERCOSUR, et de son
éventuelle extension aux autres pays de l'Amérique du Sud, est ensuite discutée
afin d'illustrer comment l'intégration sous-régionale peut assurer au pays une
meilleure présence sur la scène internationale, renforçant ainsi les bases de
son autonomie politique. L'analyse est ensuite dirigée vers les raisons d'ordre
local à l'origine de l'opposition brésilienne et qui sont principalement
associées à la faible compétitivité des entreprises nationales dans le contexte
d'une élimination des barrières tarifaires et non tarifaires à l'échelle
continentale. La troisième partie analyse les stratégies du Brésil dans le
cadre du processus de négociation en cours afin de mettre en relief la faible
marge de manœuvre dont profite les autorités brésiliennes face au projet
commercial des États-Unis. Le texte se termine avec une discussion des facteurs
qui facilitent ou qui empêchent la formation d'une alliance de pays partageant
les réticences brésilienne à l'égard du projet commercial des États-Unis.
LES FONDEMENTS DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE
BRÉSILIENNE
Pendant longtemps, le modèle
d’industrialisation par substitution des importations (ISI) a permis de générer
une forte croissance de l’activité économique, sans nécessairement ouvrir
l'économie nationale aux échanges avec l’extérieur, et au début des années 90,
le Brésil comptait encore à l’échelle mondiale parmi les économies les plus
fermées ([1]). L'importance du marché
local ainsi que la diversité des ressources naturelles et des sources d'énergie
sur le territoire ont donné les moyens de soutenir la croissance du pays
pendant les cinquante dernières années. Ce modèle de développement autocentré a
toujours été associé à la diversification stratégique des partenaires
commerciaux et des investissements directs étrangers sur le territoire national,
une stratégie économique internationale de nature multilatérale.
Le Brésil privilégie le multilatéralisme
dans ses relations commerciales et financières car cette situation lui permet
de réduire significativement sa dépendance envers une ou plusieurs grandes
puissances économiques, qui absorberaient l'essentiel de ses exportations, ou
qui fourniraient la majorité des investissements étrangers. Ce sont avant tout
des considérations d’ordre politique et stratégique qui ont conduit le Brésil à
privilégier une telle stratégie. Au
départ, elle avait comme principal objectif la réduction de l’influence des
États-Unis sur le pays et dans la région. Mais aujourd'hui, on lui accorde
également une importance politique globale car elle permet d'augmenter la marge
de manœuvre du pays en ce qui concerne les préférences locales en matière de
développement et en ce qui a trait aux intérêts brésiliens dans les débats et
les questions d’ordre international.
En matière de commerce international, le
graphique un (1) montre que Brasilia a réussi, depuis la fin des années 70, à
diversifier de manière significative ses partenaires commerciaux au niveau des
exportations. L'Europe, l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud représentent
les principaux marchés d'exportation brésiliens. Quoique relativement moins
importante, l'Asie absorbe également une part significative de la production
brésilienne. Cette distribution très particulière des exportations limite la
part qu'occupe chacune des régions dans la balance commerciale brésilienne.
Cette dispersion du commerce sur une base mondiale diminue fortement la
vulnérabilité économique du Brésil et lui permet une certaine marge de manœuvre
dans ses relations diplomatiques avec les grandes puissances qui ne peuvent
utiliser la dépendance commerciale du pays comme point d’appui pour exercer une
influence sur les décisions prises par Brasilia.
Distribution régionale des
exportations brésiliennes
Source: FMI, Direction of Trade Statistics, 2000.
Le même portrait se dessine en
ce qui concerne les importations. La hausse de la valeur de la monnaie brésilienne,
survenue en juillet 1994 suite à la mise en œuvre du nouveau plan de stabilisation
économique du président Cardoso, a entraîné une forte croissance des importations
en provenance de l'Europe, de l'Amérique du Nord, de l'Amérique latine et
de l'Asie. Le caractère multilatéral de la politique commerciale brésilienne
apparaît plus clairement ici car les données montrent une plus grande diversification
dans la seconde moitié des années 90. Le Moyen-Orient représente la seule
région qui perd de l'importance dans la distribution du commerce brésilien,
et cette diminution est encore une fois associée à des raisons de nature stratégique
; le Brésil achète maintenant une plus grande part de son pétrole à ses voisins
immédiats, dans le but de raffermir les liens commerciaux en Amérique du Sud
et de faciliter la participation des pays de l’Amérique du Sud à un MERCOSUR
élargi, mais construit à partir du pôle brésilien ([2]). Bien entendu, la distribution des importations
brésiliennes dans les différentes régions du monde a le même effet que dans
le domaine des exportations, soit celui d’augmenter au maximum la marge de
manœuvre de Brasilia dans ses relations avec les grandes puissances économiques
et de favoriser ainsi une plus grande autonomie en matière de développement
local.
Graphique 2
Distribution
régionale des importations brésiliennes
Source:
FMI, Direction of Trade Statistics, 2000.
L'importance que les
Brésiliens accordent à la diversification des partenaires commerciaux prend tout son sens lorsqu'on analyse la
nature de la relation commerciale que le pays entretient avec les différentes
régions du monde. Si l'économie brésilienne est aujourd’hui assez diversifiée
et repose sur quelques secteurs de haute technologie, son commerce
international reproduit toutefois une logique de type centre-périphérie commune
aux pays pauvres de l'hémisphère sud.
Dans ses rapports avec les États-Unis et les autres économies développées, le
Brésil importe principalement des produits industrialisés et des biens à haute
intensité technologique (biens de capitaux, produits chimiques et
pharmaceutiques) et exporte essentiellement des biens non transformés (produits
agricoles et miniers). En matière d’exportation, le seul secteur qui échappe à
cette logique est celui de l’aéronautique, le Brésil contrôlant près de 50 % du
marché des avions de transport de moyenne portée.
Par contre, l'analyse des échanges commerciaux
que le Brésil entretient avec l'Amérique du Sud montre une situation inverse.
En effet, le pays se spécialise dans la production et la vente de produits à
haute valeur ajoutée (biens de capital, véhicules, etc.) et achète des produits
primaires (blé, pétrole, gaz). Le projet de création d'une éventuelle Zone de
libre-échange sud-américaine (ALÉSA) a entre autres comme but d'approfondir les
exportations brésiliennes de biens à haute valeur ajoutée vers les pays de la
région, seul marché dans lequel le pays profite de conditions avantageuses
normalement associées aux pays développés. Dans ces conditions, il est clair
qu’un projet commercial continental s'opposerait directement à la poursuite de
ces rapports commerciaux régionaux qui profitent principalement au Brésil.
Le modèle brésilien d’industrialisation a
également comme principale caractéristique l’entrée de capitaux d’origines
diverses. Traditionnellement, les grands investisseurs dans ce pays ont
toujours été les États-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Angleterre, la France
et l’Italie. Pendant longtemps, les États Unis ont représenté les principaux
investisseurs au Brésil, avec des investissements annuels moyens équivalant à
près de 25 % du total. Mais au cours des années 90, le changement le plus
significatif dans ce domaine est associé à la forte croissance de
l’investissement européen, et plus particulièrement des investissements
espagnol et portugais, qui conjointement dépassent aujourd'hui en valeur totale
les flux d’investissement américain. Si ces deux pays occupaient seulement 10 %
du total en 1996, en 2000 les investissements espagnol et portugais
représentaient 35 % de l’investissement direct étranger (IDE) total au Brésil.
Tableau I
Distribution de l'IDE au
Brésil par pays d'origine
Pays |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
Total |
|||||
|
Flux |
% |
Flux |
% |
Flux |
% |
Flux |
% |
Flux |
% |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
États-Unis |
1 975,4 |
27,77 |
4 382,3 |
28,62 |
4 692,5 |
20,16 |
8 370,8 |
29,39 |
19420,9 |
25,99 |
Espagne |
586,6 |
7,65 |
545,8 |
3,56 |
5 120,2 |
22,00 |
5 702,2 |
20,02 |
11954,8 |
16,00 |
Pays-Bas |
526,8 |
6,87 |
1 487,9 |
9,72 |
3 365,0 |
14,46 |
2 055,5 |
7,22 |
7 435,2 |
9,95 |
France |
970,0 |
12,65 |
1 235,2 |
8,07 |
1 805,4 |
7,76 |
1 986,3 |
6,97 |
5 996,8 |
8,03 |
Portugal |
202,7 |
2,64 |
681,0 |
4,45 |
1 755,1 |
7,54 |
2 621,4 |
9,20 |
5 260,2 |
7,04 |
Royaume-Uni |
91,5 |
1,19 |
182,5 |
1,19 |
127,9 |
0,55 |
1 268,8 |
4,46 |
1 670,7 |
2,24 |
Allemagne |
212,0 |
2,77 |
195,9 |
1,28 |
412,8 |
1,77 |
487,8 |
1,71 |
1 308,5 |
1,75 |
Belgique |
111,5 |
1,45 |
135,6 |
0,89 |
950,4 |
4,08 |
62,2 |
0,22 |
1 259,7 |
1,69 |
Italie |
12,3 |
0,16 |
57,4 |
0,37 |
646,6 |
2,78 |
408,5 |
1,43 |
1 124,8 |
1,51 |
Japon |
192,2 |
2,51 |
342,1 |
2,23 |
277,8 |
1,19 |
274,3 |
0,96 |
1 086,3 |
1,45 |
Suède |
126,0 |
1,64 |
268,6 |
1,75 |
239,2 |
1,03 |
381,5 |
1,34 |
1 015,3 |
1,36 |
Suisse |
108,8 |
1,42 |
81,2 |
0,53 |
217,0 |
0,93 |
516,3 |
1,81 |
923,3 |
1,24 |
Canada |
118,5 |
1,55 |
66,2 |
0,43 |
278,6 |
1,2 |
445,4 |
1,56 |
908,7 |
1,22 |
Argentine |
30,1 |
0,39 |
186,9 |
1,22 |
113,3 |
0,49 |
93,4 |
0,33 |
423,7 |
0,57 |
Source : Carta da Sociedade
Brasileira de Estudos das Empresas Transnacionais, ano 3, no 14.
Les données du tableau 1 montrent la
forte croissance de l'investissement direct provenant des pays de la Communauté
européenne. Et en termes plus précis, la distribution de l'investissement
direct étranger au Brésil sur une base régionale montre clairement la
prédominance de l'investissement européen pendant toute la période analysée. Si
l'IDE nord-américain n'a jamais dépassé 30 % du total brésilien, les pays
européens contribuent à plus de 50 % de l'investissement direct étranger depuis
1998 (Giordano et Santiso 2000; Nunnenkamp 2001). Compte tenu que la
déconcentration de l'investissement dans le pays répond aux mêmes objectifs que
la multiplication des partenaires commerciaux, le projet de création d'une zone
de libre-échange continentale cadre mal avec la stratégie brésilienne de
diversification de l'IDE.
La
création du Marché commun du Cône sud (MERCOSUR) vient renforcer cette recherche
d'autonomie économique et politique par le biais du développement de rapports
internationaux particuliers. Si, au départ, on concevait le rapprochement
des pays du Cône sud comme un processus principalement commercial, on lui
a rapidement donné des fonctions stratégiques car il permet d'amplifier le
poids politique du Brésil, qui parvient de la sorte à orienter le discours
et les intérêts de ses partenaires du Cône sud. Depuis le milieu des années
90, on peut affirmer qu'en ce qui concerne le Brésil, le MERCOSUR répond principalement
à des préoccupations d’ordres stratégique et géopolitique.
En fait, il existe une différence de
perception très significative quant au sens et au rôle du MERCOSUR pour
Brasilia et Buenos Aires, malgré le rapprochement économique et le succès du
regroupement régional en matière de croissance des échanges commerciaux. Si, au
Brésil, le MERCOSUR répond à des finalités principalement politiques et
géostratégiques, il s’agit principalement, en Argentine, d’un instrument qui
doit permettre la croissance économique et le développement du commerce. Et
plus particulièrement, les Brésiliens voient dans la consolidation du MERCOSUR
un moyen de renforcer leur position dans les forums internationaux et au sein
des organisations commerciales mondiales. Le regroupement commercial
permettrait de favoriser la convergence des discours brésilien et argentin et
donnerait au Brésil un poids beaucoup plus important sur la scène internationale.
Dans les termes qu'utilise la diplomatie brésilienne, le MERCOSUR serait un
instrument grâce auquel il serait possible de construire un sous-système
économique et politique qui mènerait à la reconnaissance du pays comme une
puissance intermédiaire dans le monde, et comme la principale puissance en
Amérique latine. Le succès du Marché commun du Cône sud assurerait donc le
renforcement de la présence brésilienne dans la région.
Pour Brasilia, le Marché commun du Cône
sud a une importance stratégique car il donne au pays les moyens d'approfondir
le multilatéralisme dans ses relations commerciales ([3]). La signature du Protocole
d'Ouro Preto en 1994 a donné au MERCOSUR les bases juridiques lui permettant de
réaliser des accords internationaux avec des pays ou des regroupements
commerciaux. Et par ailleurs, la mise en œuvre d’un tarif extérieur commun
(TEC) en janvier 1995 a permis de transformer le bloc commercial en union
douanière. Ces fondements légaux ont ensuite mené à la signature de plusieurs
traités avec des partenaires régionaux et des acteurs situés dans d’autres
régions du monde.
À l’échelle globale, les fondements de la
politique extérieure brésilienne ont comme principal objectif de donner au pays
un statut d'acteur dominant dans le processus de régionalisation du continent
américain. Depuis le début des années 90, la diplomatie brésilienne cherche à
ouvrir des espaces sur la scène régionale, et c'est pourquoi le pays est
rapidement passé d’une situation de conflits et d’affrontements avec l’Argentine
à une situation de coopération bilatérale. Ce rapprochement vers les pays de
l’Amérique du Sud et la participation active à la construction d’un espace
économique intégré a conduit à la création du Marché commun du Cône sud au
début des années 90. Après plus d'un siècle d'isolement, les relations
régionales dans le Cône sud sont maintenant considérées comme stratégiques et
profitables par les responsables brésiliens, autant en ce qui concerne le
développement national qu’en ce qui a trait à la politique extérieure du
MERCOSUR (Brigagao et Valle Fonrouge, 1999).
C'est la volonté d'assumer un leadership
régional qui explique pourquoi le Cône sud et l’Amérique latine ont pris
beaucoup d’importance dans l’agenda de la politique étrangère brésilienne au
cours des dix dernières années. Selon Seixas Corrêa,
«l'intégration régionale en Amérique
latine est maintenant le principal objectif de la politique étrangère
brésilienne. Le rapprochement de l'Argentine et du Brésil au début des années
90 a donné lieu à une réorientation profonde des objectifs brésiliens en
matière de relations internationales, et ce qui en ressortit est une priorité
absolue donnée à l'intégration régionale et au rapprochement avec les pays
voisins » (Seixas Corrêa, 2000, p.16).
Ces nouvelles priorités de la politique
extérieure ont conduit au Sommet de l’Amérique du Sud qui eut lieu à Brasilia à
l’automne 2000. Il s’agit d’un événement important car il a rassemblé les 12
présidents de la région qui ont discuté une série de thèmes répondant avant tout
aux préoccupations brésiliennes, mettant ainsi en lumière l'importance
attribuée au projet régional qui guide l'action de Brasilia depuis dix ans.
L’agenda des discussions proposé par le Brésil identifiait plusieurs problèmes,
dont ceux du sous-développement des infrastructures régionales, de la
croissance des échanges commerciaux intra-régionaux, du développement des
technologies et du savoir-faire local, et du renforcement de la démocratie et
de la sécurité régionale. Ces thèmes sont tous directement associés au projet
brésilien favorisant la ratification d'un éventuel accord de libre-échange
sud-américain visant à réduire l'éventualité d'une négociation commerciale
bilatérale, une situation qui réduirait grandement les gains dont pourrait
profiter le Brésil dans le contexte de la ZLÉA.
D’autre part, malgré le caractère
prioritaire qu’on associe maintenant à la région sud-américaine, le Brésil
continue quand même d'accorder beaucoup d’importance à ses rapports avec les
États-Unis car il s’agit encore d’un partenaire essentiel d’un point de vue
économique et commercial. L’importance des transferts de technologies et des
flux de capitaux en provenance des États-Unis diminue sa marge de manœuvre à
l’égard de Washington, ce qui pose un problème sérieux pour Brasilia dans sa
recherche d'une plus grande indépendance économique. Mais depuis le début des
années 90, Brasilia cherche à réduire
les foyers de tension et évite d’attiser des conflits qui pourraient constituer
des limites importantes à son projet régional construit à partir du MERCOSUR ([4]).
Au niveau de la politique économique, les
années 90 coïncident au Brésil avec une remise en question des barrières
tarifaires dans le cadre d’un projet de libéralisation de l’économie, celle-ci
ne parvenant plus à générer une croissance suffisante compte tenu des besoins
locaux en matière de développement. Ce programme passe, d’une part, par une
lente diminution des barrières à l’importation de biens et services, mais aussi
par un important programme de privatisation des entreprises publiques héritées
du modèle de substitution des importations. La détérioration de la situation
économique interne au début des années 90 a aussi conduit les technocrates
brésiliens vers la recherche de solutions pour stabiliser définitivement
l’économie. Dans ce contexte général de recherche d’une plus grande stabilité,
l’ouverture de l’économie était en grande partie motivée par l’effet qu’elle
produirait sur le contrôle des prix à moyen terme. L’exposition de la
production locale à la concurrence internationale allait permettre de fixer les
prix aux coûts internationaux des produits équivalents ([5]).
Le lancement de la proposition d’une Zone
de libre-échange des Amériques lors du Sommet de Miami coïncide avec l’arrivée
de Fernando Henrique Cardoso à la présidence du Brésil. Cardoso est élu avec un
programme qui reprend et approfondit la plupart des thèmes privilégiés par ses
prédécesseurs, ce qui pouvait laisser croire à la possibilité d’un
rapprochement entre Washington et Brasilia en matière de commerce et de
libre-échange. La question de la libéralisation de l'économie est encore
l’objectif principal du pouvoir exécutif, mais en ce qui concerne l’agenda
extérieur, le nouveau gouvernement propose de nouvelles directions qui visent à
approfondir le multilatéralisme du point de vue du commerce et des
investissements et à privilégier une politique d'ouverture sélective. Ce sont
ces changements importants apportés aux programmes des présidents Collor de
Mello et Franco qui expliquent pourquoi le Brésil cherche à négocier des
accords commerciaux avec la Communauté européenne et avec certains pays
asiatiques dans la seconde moitié des années 90.
En somme, c’est la recherche d'une plus
grande sécurité économique qui a conduit le Brésil à favoriser sa participation
à des accords multilatéraux. Ceux-ci lui permettent de consolider ses intérêts
commerciaux associés à sa condition de pays en développement, mais lui assurent
également les pouvoirs et l’influence d’une puissance moyenne, ce qui lui
garantit un certain degré d’autonomie et une présence politique importante sur
la scène internationale. C'est dans ce cadre très particulier que s'insère la
stratégie brésilienne de négociation d'une zone de libre-échange continental.
OPPORTUNITÉS
ET RISQUES DE LA ZLÉA
DANS
UNE PERSPECTIVE BRÉSILIENNE
La littérature scientifique explique la
stratégie brésilienne dans le cadre des négociations continentales à partir de
trois éléments différents : son rôle de puissance moyenne du point de vue
politique, son statut de pays nouvellement industrialisé du point de vue
économique et son faible degré d’interdépendance avec les États-Unis sur le
plan stratégique (Sennes,
1998). En d'autres mots, le Brésil cherche à faire coordonner un
système économique et financier qui correspond à son statut de marché émergent,
mais qui lui accorde également les attributs politiques associés aux puissances
moyennes ([6]). Puisque le développement
généré par le processus d’industrialisation a permis une certaine dose
d’autonomie dans la définition de la politique étrangère, le pays a augmenté sa
capacité de négociation et son pouvoir relatif sur la scène internationale. Et
malgré sa condition de pays en développement, le Brésil cherche désormais à
profiter au maximum de son autonomie, surtout au niveau régional où il subit
moins sa condition de pays périphérique et dépendant grâce à la nature de ses
rapports économiques internationaux.
Cette recherche d'autonomie passant
obligatoirement par la reconnaissance d'un leadership régional est alimentée
par les projets que Washington destine à l'Amérique du Sud. Et en ce qui
concerne les rapports avec les États-Unis, les divergences en matière
d’intérêts politiques et économiques ont des racines structurelles. Même si, au
cours des dernières années, la diplomatie brésilienne a évité les situations de
conflit ouvert avec Washington, il existe encore plusieurs points de discorde,
et le projet continental s'est ajouté à la longue liste de récriminations que
le Brésil adresse aux États-Unis. En effet, les autorités brésiliennes
soulignent souvent l’importance de la dimension politique dans les propositions
nord-américaines. On considère à Brasilia que la proposition commerciale des
États-Unis aurait un fondement stratégique qui dépasserait son importance
économique dans les priorités des États-Unis. Il s'agirait, selon la diplomatie
brésilienne, d'un cadre institutionnel qui empêcherait les pays de la région
d'améliorer leur situation politique aux niveaux régional, continental et
global et qui réduirait leur marge de manœuvre économique. On fait souvent
référence à Brasilia aux paroles de Charlene Barshevsky, ex-représentante
commerciale des États-Unis, qui a insisté publiquement sur le fait que la ZLÉA
était vitale pour les États-Unis, non seulement pour son importance économique,
mais aussi pour maintenir leur leadership et l'initiative politique dans la
région (Sennes, 1998, p.3). Selon
Guimarães, la ZLÉA serait une opération stratégique d'envergure associée à des
objectifs politiques, économiques et militaires à long terme. Un des principaux
objectifs politiques de cette réorganisation des rapports commerciaux régionaux
permettrait de consolider l’influence nord-américaine sur les plus grands États
de la région.
Le projet ZLÉA a longtemps occupé un rôle
secondaire dans l’agenda des négociations externes du Brésil car les officiels
locaux ont plusieurs fois répété leur intention d’accorder la priorité à
l’intégration au niveau régional et d’en faire une étape obligatoire dans le
processus menant aux négociations continentales, que le Brésil pourrait ainsi
aborder avec de meilleures capacités de négociation (Bosco Machado et da Motta
Veiga, 1997, p.12). La mise sur pied d’un bloc commercial régional centré sur
le MERCOSUR lui permettrait de faire face plus facilement aux propositions de
Washington relativement au projet ZLÉA et de préserver sa stratégie
multilatérale dans les domaines du commerce et de l’investissement. Et c'est pourquoi les Brésiliens insistent
tant sur le fait que les négociations en cours doivent absolument respecter les
singularités du MERCOSUR comme mécanisme d'intégration régionale. Vue sous cet
angle, la consolidation du Marché commun du Cône sud devient une étape obligatoire
vers le développement d'un accord de libre-échange sud-américain (Seixas
Corrêa, 2000, p.19).
Puisque le Brésil est le seul pays de
l'Amérique du Sud qui possède encore aujourd'hui une structure industrielle
diversifiée et qui poursuit une stratégie commerciale multilatérale, sa
perception des négociations continentales est dans ces conditions généralement
négative. Contrairement aux petits pays de la région qui sont beaucoup plus
dépendants du marché américain pour leurs exportations, un meilleur accès des
produits brésiliens aux marchés nord-américains ne représente pas un gain
appréciable pour les producteurs locaux.
Une étude d’opinion faite auprès de
chercheurs, d’entrepreneurs et de hauts fonctionnaires brésiliens démontre
qu’ils sont inquiets, sinon très pessimistes, quant à la proposition
commerciale américaine. On considère généralement que la ZLÉA n’apportera pas
de réels bénéfices au pays. Cette enquête révèle également qu’il existe une perception
de risque très élevée face à un projet d’intégration proposé et défini par les
États-Unis. D’un point de vue économique, les dangers sont directement associés
aux différences en matière de compétitivité entre le Brésil et les États-Unis,
et d’un point de vue politique à la possibilité de perdre une autonomie
chèrement acquise dans les questions internes et externes ([7]).
Coutinho et Furtado (1996) considèrent
que le libre accès des entreprises américaines au marché brésilien pourrait
générer deux effets néfastes sur les capacités de développement autonome dont
le pays profite encore aujourd'hui. D'une part, dans les secteurs accusant des
retards technologiques importants, la concurrence pourrait mener à
l’élimination des capacités locales et à une diminution du parc industriel
national. Le projet commercial continental est donc clairement identifié à la
désindustrialisation du Brésil à moyen terme. Dans ce contexte, il n’est pas
étonnant de constater que les entrepreneurs brésiliens partagent le point de
vue de l'élite politique du pays sur le peu de pertinence du projet américain.
Et d’autre part, les deux chercheurs considèrent que le rapprochement avec les
États-Unis pourrait provoquer une diminution de l'investissement direct
étranger provenant des autres régions du monde, ce qui remettrait en question
la forte diversification géographique dans ce domaine.
Les études et les simulations réalisées
par les chercheurs du gouvernement brésilien concluent que les gains éventuels
associés à la croissance des exportations nationales, dans le cadre d’une
élimination des tarifs nord-américains ou même d’une forte réduction des
barrières non tarifaires, ne seraient pas vraiment significatifs vu le
caractère moins compétitif des produits manufacturés brésiliens face à la
production locale américaine ou aux produits européens et asiatiques écoulés
sur le marché américain. Les analystes en viennent aux mêmes conclusions en ce
qui concerne les produits agricoles. Face aux produits américains, qui
bénéficient de la plus grande efficacité des infrastructures agricoles locales,
les exportations brésiliennes ne profiteraient pas d'un réel avantage, ce qui
ne favoriserait pas à moyen terme le développement des capacités locales. En ce
qui concerne le commerce extérieur, la ZLÉA mènerait probablement à une
augmentation du déficit commercial avec les États-Unis et à une réduction
significative des exportations vers l’Amérique du Sud. L'ensemble des résultats
qu'on associe à une éventuelle zone de
libre-échange continental produirait une augmentation importante du déficit
global de la balance commerciale brésilienne (da Motta Veiga, 2000, p.2).
Au
Brésil comme ailleurs dans des économies comparables, il existerait une forte
corrélation entre la dimension des entreprises et l’attitude des dirigeants
en ce qui concerne la libéralisation commerciale. Les grandes entreprises
brésiliennes seraient en mesure d'associer certains bénéfices à un processus
d’ouverture commerciale, mais les petites et moyennes entreprises préféreraient
le maintien des barrières tarifaires qui leur assurent un accès facile au
marché local. D’une manière générale, les grandes entreprises profitent d’un
degré plus important d’ouverture externe, ce qui signifie qu’elles peuvent
mieux soutenir la concurrence internationale, et donc profiter davantage d’un
processus d’intégration régionale faisant intervenir des pays plus développés.
En somme, les entreprises profitant de niveaux d’ouverture externe plus importants
tendent à appuyer un processus d’intégration régionale, contrairement aux
petites et moyennes entreprises qui peuvent difficilement survivre sans la
protection accordée par l’État dans un environnement soumis aux niveaux de
compétitivité en vigueur dans les économies développées.
Les dimensions du marché brésilien
constituent un autre facteur qui doit être considéré dans l'évaluation du
risque et du potentiel associés à la proposition nord-américaine. De manière
générale, les économies qui profitent d’un vaste marché interne sont moins
dépendantes de l’exportation pour la commercialisation de leurs produits car
une grande partie de la production locale est achetée sur place. Au Brésil, cet
avantage structurel a toujours conduit les entreprises locales à demander une
protection tarifaire pour préserver les marchés domestiques de la concurrence
internationale. Le secteur privé brésilien s’oppose autant aux produits
importés qu’aux entreprises étrangères actives dans les mêmes segments. En
conséquence, les secteurs qui offrent le plus de résistance à la création d'une
ZLÉA sont justement ceux qui profitent d’une situation oligopolistique sur le
marché domestique qui est encore aujourd'hui très protégé (Oliveira, 2000,
p.3). Ces secteurs comprennent les entreprises nationales, qui ont profité de
la protection de l’État durant la période d’industrialisation par substitution
des importations, et les entreprises multinationales présentes au pays et qui
dirigent leur production vers le marché brésilien ou vers celui des pays
membres du MERCOSUR.
D’un point de vue politique, les coûts
potentiels d’une participation à la ZLÉA seraient aussi très lourds. On
considère que la proposition nord-américaine d’élargir l’ALÉNA. à l’ensemble du
continent aurait comme principal effet d’affaiblir et d’isoler le Brésil en
limitant son influence dans les négociations régionales. Elle éviterait
cependant les difficultés associées à une négociation collective continentale.
La consolidation d’une zone de libre-échange continental aurait comme effet
d’apporter plus de désavantages pour le Brésil, si elle se réalisait de manière
bilatérale et précipitée (Averbug, 1999, p.55). L’organisation d’un bloc
sud-américain mené par Brasilia est donc la voie que l’on privilégie pour
répondre aux exigences des pays de l’ALÉNA.
LES
STRATÉGIES PRIVILÉGIÉES PAR BRASILIA
À
partir de 1995, les lignes directrices de la stratégie brésilienne se construisent autour de quatre éléments : 1- le maintien
du principe de multilatéralisme dans les relations économiques internationales,
avec en bout de ligne la signature d'accords avec différents pays ou blocs
commerciaux pour approfondir la diversification des partenaires commerciaux
; 2- le rapprochement avec les pays de l'Amérique du Sud dans le but de développer
son rôle de leader régional sur des bases concrètes ; 3- la diminution de
la dépendance du pays envers les États-Unis par le biais du commerce et de
l'investissement; et 4- une politique d'ouverture sélective pour protéger
les acquis tout en profitant au maximum du potentiel de croissance du marché
interne.
Une analyse du comportement des
responsables brésiliens face au projet commercial continental permet
d’identifier deux phases distinctes. La première s'étend du lancement de la
proposition, à l'occasion du Sommet de Miami de 1994, jusqu'à la réunion de
Belo Horizonte qui eut lieu en 1997. Durant cette période d'environ trois ans,
le Brésil évite de s'engager directement dans les négociations et s'oppose
indirectement au projet, en donnant une impression de détachement complet afin
de réduire sa pertinence et sa valeur aux yeux des pays de la région. Au cours
de la seconde période, qui s'amorce avec la rencontre de Belo Horizonte, le
Brésil se sent beaucoup plus concerné par le projet continental et s'engage
directement dans les débats et les négociations. Ce changement radical de
stratégie s'explique par le fait que le Brésil considère désormais que le
projet américain peut prendre forme, et ce à un rythme beaucoup plus important
que prévu. Dans ce nouveau contexte, les responsables brésiliens en arrivent à
la conclusion qu'il est préférable de participer aux négociations afin de
minimiser les risques, plutôt que de rester à l'écart et de se retrouver ainsi
complètement isolé dans la région ([8]). À partir de ce moment, le
débat qui s’est imposé faisait principalement référence au rythme de mise en
marche de la ZLÉA, que l’on associe directement à la capacité d’adaptation des
principaux secteurs productifs nationaux, et à la nécessité de rapprocher le
calendrier d'établissement d'une Zone de libre-échange continental avec celui
du MERCOSUR.
En matière de négociation commerciale, le
Brésil alimente beaucoup de conflits avec les États-Unis, tant en ce qui
concerne le calendrier de négociation et d’application des mesures
commerciales, qu’en ce qui a trait à la nature et à l’ampleur de l’intégration
continentale. Les Brésiliens s’intéressent principalement à la libéralisation
du marché agricole et aux subsides destinés à ce secteur, aux produits
agricoles génétiquement modifiés, aux barrières existantes destinées aux
produits agricoles, aux normes techniques, au règlement des différends, à l’ensemble des aspects tarifaires, aux
barrières sanitaires et aux lois antidumping.
Les responsables brésiliens sont très clairs sur le fait que le pays ne fera
aucune concession sans obtenir des garanties concrètes quant à l’élimination
des barrières protectionnistes nord-américaines. En ce qui concerne les thèmes
de discussion, le Brésil veut discuter prioritairement des questions agricoles
et des mesures compensatoires et laisse au second plan l’accès au marché et la
régulation des investissements. D’autre part, le Brésil veut exclure des
négociations les questions relatives au travail et à l’environnement, et hésite
beaucoup à s’avancer sur des thèmes relatifs à la propriété intellectuelle.
La stratégie privilégiée par le Brésil
dans le cadre des négociations continentales repose sur le développement de
liens économiques et de rapports politiques avec les pays de l’Amérique du Sud,
de manière à éviter à tout prix les négociations bilatérales qui donneraient
aux États-Unis un avantage qu'on considère beaucoup trop important. La
diplomatie brésilienne cherche activement à générer en Amérique du Sud une
situation d’intérêts et d’investissements croisés pour donner un fondement structurel
à une éventuelle ALÉSA qu’on pourrait opposer à l’ALÉNA dans le cadre des
négociations commerciales actuelles. La référence à un MERCOSUR élargi est de
plus en plus fréquente dans les interventions publiques des diplomates
brésiliens qui insistent sur la pertinence de la proposition de Brasilia visant
à créer un accord de libre-échange sud-américain ([9]). L'invitation maintes fois
répétée d’établir une zone de libre-échange entre les pays du MERCOSUR et ceux
de la Communauté andine doit être comprise en ce sens ([10]). Un tel projet s'inscrit
directement dans l'effort de construction d'un espace économique intégré qui
permettrait de renforcer une Amérique du Sud organisée autour du Brésil comme
acteur cohérent dans les négociations continentales.
En termes plus précis, le projet
brésilien comprend deux moments distincts. D’une part, la consolidation du
MERCOSUR et le renforcement de la position du pays sur une base régionale.
D'autre part, l'amorce d'un lent processus d’expansion reposant sur la signature
d’ententes et d’accords avec des pays et des regroupements commerciaux dans la
plupart des régions du monde afin de renforcer le multilatéralisme. Puisqu'on
considère à Brasilia que la seule façon de renforcer la situation de la région
consiste à diminuer l’influence des grandes puissances, le regroupement des
pays andins autour du MERCOSUR représente, dans le cadre de la ZLÉA, la
meilleure alternative pour réduire les pertes.
Et en ce qui concerne plus spécifiquement
la ZLÉA, la stratégie brésilienne tourne autour de deux axes. Premièrement, on
préfère que les négociations soient réalisées au niveau des blocs
sous-régionaux plutôt que sur une base individuelle. Les négociations
pourraient ainsi faire intervenir le MERCOSUR, la Communauté andine et le Marché
commun centraméricain plutôt que chacun des pays selon une logique bilatérale ([11]).
Le second facteur est associé à la nature
des négociations et fait référence au calendrier proposé pour la création de la
ZLÉA. Le Brésil s’oppose à toute accélération du programme de rencontres menant
à 2005, soit la date d'entrée en vigueur du marché continental proposée par
Washington. Idéalement, il voudrait la retarder afin de donner plus de temps
aux entreprises nationales pour qu'elles s’adaptent et qu'elles soient en
mesure de mieux résister aux pressions structurelles issues d’une exposition
des produits brésiliens à des équivalents étrangers beaucoup plus compétitifs.
Dans le même esprit, il voudrait définir une longue période d’adaptation aux
nouvelles normes et aux nouveaux standards de compétitivité. On semble de plus
en plus disposé, au Brésil, à négocier un calendrier défini selon une logique
sectorielle, et certains spécialistes considèrent que ce processus d’adaptation
pourrait bien nécessiter plusieurs années.
Afin de retarder la mise en place d’une
éventuelle ZLÉA, Brasilia demande également que soient réglés l'ensemble des
problèmes existants en matière de commerce avant d'entreprendre tout programme
de négociation. Il s’agit, bien entendu, d’un moyen de ralentir les discussions
et c’est la raison pour laquelle le Brésil insiste pour qu’on trouve un
règlement rapide aux conflits bilatéraux rattachés au maintien de barrières non
tarifaires imposées à l’entrée de certains produits brésiliens sur le marché américain.
Les représentants brésiliens insistent également pour rendre leur participation
conditionnelle à l’obtention du fast-track
par le président américain, une stratégie efficace sous la présidence
Clinton pendant laquelle le Congrès américain n'avait jamais réussi à produire
le moindre consensus à cet égard. Compte tenu des facteurs structurels
particuliers associés à l'économie brésilienne, les principales organisations
représentant le secteur privé local produisent un discours qui reprend
l'essentiel des arguments avancés par les représentants du gouvernement ; le
calendrier initial de négociation doit être absolument respecté s'il est
impossible de retarder la mise en place d'une zone de libre-échange continental
([12]).
Enfin, le Brésil insiste pour que les
négociations soient réalisées à une même table, en évitant de fragmenter les
principaux thèmes de discussion qui seraient débattus en fonction de
calendriers différents. La conservation du principe de single undertaking est un autre procédé utilisé par le Brésil dans
le but de ralentir le processus. Un agenda chargé discuté par un grand nombre
d'intervenants présente un problème d'action collective difficile à résoudre
dans un tel contexte.
ALLIÉS
ET CONCURRENTS DANS LE DOSSEIR DES AMÉRIQUES
Une des principales questions qui se
présentent à l'heure actuelle dans l'agenda brésilien, avec la mise en marche
des négociations commerciales continentales, fait référence aux effets des
négociations menant à une éventuelle ZLÉA sur le Marché commun du Cône sud. Le
problème est fondamental car les responsables brésiliens considèrent que les
risques d’affaiblissement du MERCOSUR peuvent augmenter rapidement. Et puisque
la stratégie internationale du Brésil passe directement par le développement du
Marché commun régional, et son éventuelle extension aux pays andins, la
proposition nord-américaine oblige Brasilia à être beaucoup plus attentive aux
exigences de ses partenaires commerciaux, qui ont, jusqu'à maintenant, été
traités assez cavalièrement lors des conflits commerciaux régionaux (Cason,
2000).
Le Brésil étant désormais beaucoup plus
sensible aux risques d’assister au démantèlement de son projet régional, la
hausse du rythme des négociations continentales a conduit à une accélération
des discussions pour en arriver à des signatures d’ententes commerciales avec
des pays et des regroupements sud-américains et extra-continentaux. Le
calendrier très chargé des rencontres intra-MERCOSUR qui, depuis 1998, visent à
définir des bases permettant l'harmonisation de la politique économique, est
très significatif dans ce contexte qui voit la marge de manœuvre du Brésil se
réduire en ce qui concerne les questions d'ordre international. L’urgence
associée au dossier des négociations commerciales a même conduit le Brésil et
l’Argentine à discuter des différents moyens de favoriser l’harmonisation des
politiques macro-économiques internes et la création d’institutions politiques
communes, ce qui semblait encore inconcevable au milieu des années 90.
Cependant, les différences importantes associées aux politiques monétaires
poursuivies dans les deux pays présentent un obstacle de taille à la
convergence éventuelle de la politique économique des pays du Cône sud (Arès,
200).
Les discussions en cours à l'heure
actuelle entre l'Union européenne et le MERCOSUR, dans le but de jeter les
bases d'un nouvel accord commercial, sont le produit direct du caractère de
plus en plus insistant des responsables américains dans le dossier du commerce
continental (Bulmer-Thomas, 2000; Dauster, 1996). Les pays de l'Union
européenne sont les principaux partenaires commerciaux du MERCOSUR et la
principale source d'investissements directs étrangers dans ces pays ; leur
intérêt pour la région ne peut être considéré comme uniquement circonstanciel.
Le Brésil a délibérément choisi de négocier simultanément sur ces deux fronts
pour réduire le rythme global du rapprochement avec les économies développées
de l'Amérique du Nord et de l'Europe occidentale car il est confronté aux mêmes
problèmes structurels, tant dans les rapports économiques qu'il développe avec
les pays de l'ALÉNA que dans ceux qu’il entretient avec les pays de la
Communauté européenne.
Par ailleurs, la stratégie de
renforcement de la position brésilienne en Amérique du Sud mène à d’autres questions
qui doivent être discutées dans le contexte des négociations commerciales
actuelles. Par exemple, le pays a été confronté au cours des derniers mois à
certains obstacles importants dans son projet de rapprochement régional, et
ceux-ci peuvent contribuer à l‘isoler
politiquement face aux pays de l’ALÉNA. La principale difficulté est associée
aux intérêts de l’Argentine et du Chili face au projet commercial continental
proposé par Washington. Au cours des derniers mois, le discours officiel de
l'Argentine et du Chili quant au projet brésilien de rapprochement régional est
devenu beaucoup moins clair, laissant présumer une diminution de leur intérêt
envers le MERCOSUR.
À titre de membre du MERCOSUR,
l'Argentine semble partager la préoccupation brésilienne visant à renforcer les
bases du regroupement régional avant de négocier l’intégration continentale.
Officiellement, Buenos Aires apparaît assez soucieuse de l’impact négatif que
pourrait avoir la ZLÉA sur le projet régional ([13]). Mais en ce qui concerne les
dossiers régionaux et la politique étrangère, Buenos Aires a souvent adopté un
comportement pendulaire face au Brésil. Depuis le début des années 80, la
diplomatie argentine alterne entre des périodes de consensus politique avec Brasilia
et d’appui à la stratégie de consolidation du MERCOSUR, et des moments de
rapprochement avec les États-Unis ([14]).
Au cours des derniers mois, Buenos Aires
a démontré un comportement très ambivalent à l’égard du Brésil. La crise
économique récente et les scandales politiques dans lesquels plusieurs
sénateurs importants ont été impliqués ont rapproché suffisamment l’Argentine
des États-Unis pour que Washington puisse être en mesure d’apporter l’aide et
la crédibilité nécessaire à une reprise de l’investissement au pays. D'autre
part, la parité établie depuis 1991 entre le peso argentin et le dollar
américain favorise aussi une plus grande convergence des intérêts de Buenos
Aires et de Washington. Mais l’importance du commerce intra-MERCOSUR pose des limites
de plus en plus claires du point de vue de la marge de manœuvre du pouvoir exécutif argentin. Sur ce plan,
l'impact dévastateur de la dévaluation du real brésilien de janvier 1999 sur
l'économie argentine a clairement montré le degré élevé de dépendance envers le
marché brésilien qui s'est établi par l'entremise du rapprochement commercial ([15]).
Dans les semaines qui ont précédé le
Sommet du MERCOSUR à l’automne 2000, l’Argentine s’est clairement déclarée en
faveur d’une accélération des négociations et du calendrier menant à la ZLÉA.
Les Argentins étaient disposés à accepter la conclusion des négociations pour
2003 ou 2004. D’autre part, l’Argentine ne s’est pas clairement opposée à son
éventuelle participation à des négociations bilatérales avec les États-Unis.
Malgré une déclaration commune des pays du MERCOSUR annonçant la formation d’un
consensus quant à la nécessité de maintenir le calendrier de discussions
commerciales et la négociation en bloc, les possibilités de retrait de
l’Argentine restent toujours possibles. D’autant plus que l’arrivée à
Washington d’un nouveau président plus à l’écoute des voisins latino-américains
a conduit les États-Unis à se rapprocher de Buenos Aires dans le but
d’affaiblir le bloc commercial du Cône sud et d’isoler le Brésil ([16]).
La question du Chili se présente très
différemment. Depuis 1994, Santiago annonce souvent sa volonté de participer à
l’ALÉNA suite à des négociations bilatérales. Mais son adhésion a toujours été
refusée par Washington qui ne parvient pas à obtenir l’autorisation du Congrès
pour entreprendre des négociations de type fast-track.
Le blocage des discussions avec l'ALÉNA a conduit à un rapprochement du Chili
et des pays du MERCOSUR avec lesquels il a signé un accord de complémentarité
économique en 1996, ce qui lui a permis d'obtenir le statut de pays associé,
statut qu’il partage avec la Bolivie. Mais les importantes différences
tarifaires entre le Chili et les pays du MERCOSUR ont jusqu'à maintenant
empêché toute poursuite de l’intégration commerciale ([17]).
Le rapprochement inattendu du Chili et
des États-Unis, à l’automne 2000, risque de réduire significativement les
effets potentiels de la stratégie brésilienne. Le gouvernement du Brésil a
rapidement répondu à la manœuvre chilienne en soulignant qu’un tel
rapprochement suspendait les processus menant à la pleine intégration du Chili
au MERCOSUR, une adhésion simultanée du pays aux deux regroupements régionaux
était inacceptable compte tenu des différents niveaux de protection tarifaire.
Les Brésiliens resteraient toutefois prêts à approfondir les relations
commerciales avec le Chili. Désirant sans doute conserver l’option MERCOSUR
ouverte en cas d’échec dans les négociations avec Washington, Santiago a repris
le discours brésilien favorisant la formation d’un bloc sud-américain qui
profiterait plus facilement de la croissance des échanges régionaux.
L’attrait de plus en plus grand qu’exerce
le projet américain aux yeux des Argentins et des Chiliens a modifié les
calculs du Brésil qui se montre désormais beaucoup plus sensible aux problèmes
de ses voisins du Cône sud. Les Brésiliens sont maintenant moins réticents à
accélérer la réduction du tarif extérieur commun et sont plus favorables à la
création d’un mécanisme de règlement des différends qui opposent les pays
membres du MERCOSUR. Le Brésil et l’Argentine se sont aussi entendus en
décembre 2000 sur une politique commune en matière d’industrie automobile. Et
enfin, l’harmonisation des politiques macro-économiques et fiscales a été
inscrite à l’agenda des pays membres (Cason, 2000).
CONCLUSION
Le degré de
cohérence du bloc sud-américain que le Brésil cherche à développer à partir du
MERCOSUR établira en grande partie la forme de la future Zone de libre-échange
des Amériques. Si Brasilia parvient à créer un tel bloc commercial, organisé
selon ses exigences et ses conditions, on peut alors présumer que la ZLÉA
reflétera en partie les intérêts du pays dans sa nature et ses mécanismes. Au
contraire, si le Brésil se retrouve isolé dans la région, les États-Unis auront
alors les moyens de déterminer et d'accélérer la mise en place de nouvelles
règles commerciales répondant en tout point aux projets politiques et
commerciaux qu'ils destinent à l'Amérique du Sud.
La profonde crise
dans laquelle est plongée l'Argentine depuis l'automne 2000 donne de plus en
plus de poids à l'hypothèse de l'isolement du Brésil car elle a modifié
radicalement la stratégie des responsables brésiliens, qui sont maintenant
prêts à lâcher du lest dans leurs relations avec leurs partenaires du MERCOSUR
et les autres pays de la région. La menace d'un moratoire argentin sur le
paiement des intérêts de sa dette externe exerce des pressions sur tous les
pays du Cône sud, qui connaissent une chute importante de l'activité économique
et subissent de fortes pressions externes transmises par les mouvements
financiers internationaux. Effets directs des difficultés de l'Argentine, la
chute de la croissance économique au Brésil depuis juin 2001 et les fortes
pressions qui sont exercées sur la monnaie locale réduisent significativement
la marge de manœuvre de Brasilia car il n'est plus possible de tirer profit de
l'effet d'entraînement qu'exerce la croissance de l'économie brésilienne sur
les pays de la région pour légitimer un éventuel ALÉSA.
À cet effet, il
importe de rappeler que le Sommet de l'Amérique du Sud, organisé par les
Brésiliens à l'automne 2000, survenait au moment ou l'économie brésilienne
connaissait une période de forte croissance dont profitaient la plupart des
pays voisins. Plus grand marché de l'Amérique du Sud, le dynamisme de
l'économie brésilienne représente une condition à la formation d'un accord de
libre-échange sud-américain. Si les effets de contagion de la crise argentine
se poursuivent, les Brésiliens trouveront peu d'intéressés à leur projet
commercial régional. Dans ce contexte, un accès garanti à l'économie américaine
sera sans aucun doute préféré à un projet encore imprécis qui implique la
construction de liens étroits avec une économie en développement qui souffre
d'importants problèmes structurels associés à un haut niveau d'endettement et à
une forte dépendance envers l'investissement étranger.
C'est sans aucun
doute ces considérations qui ont motivé les États-Unis à appuyer l'Argentine dans
ses négociations avec le FMI et la communauté internationale pour une aide
financière d'urgence lui permettant de remplir ses obligations envers ses
créanciers internationaux. L'entente conclue au mois d'août 2001 entre le FMI
et le gouvernement argentin réduit à court terme les pressions sur l'Argentine
et sur ses voisins du Cône sud, mais elle implique toutefois une condition, le
début d'un processus de négociations commerciales impliquant les quatre pays du
MERCOSUR et les États-Unis. Coincé par la crise que traverse le MERCOSUR, le
gouvernement brésilien a accepté de participer aux négociations dont le début
est prévu pour septembre 2001, laissant ainsi présager la disparition de la
marge de manœuvre dont il profitait depuis le Sommet de Santiago d’avril 1998.
La stratégie américaine est efficace car elle isole les secteurs favorables au
MERCOSUR en Argentine et renforce ceux qui proposent un rapprochement vers les
États-Unis comme solution ultime à la crise dans laquelle est plongé le pays
depuis la fin 1998. Le renforcement de ces groupes, principalement centrés
autour des péronistes et de Domingo Cavallo, à qui l'on doit l'ouverture et la
quasi-dollarisation de l'économie argentine au cours des années 90, signifie
pour le Brésil la perte de son principal allié sur le plan des négociations
menant à une éventuelle ZLÉA.
Cette importante
restriction de la capacité d'action des autorités brésiliennes dans le dossier
des Amériques est sans aucun doute ce qui explique le nouvel intérêt qu'exprime
Brasilia envers les autres régions en développement. En effet, le rapprochement
sino-brésilien, qui pourrait prendre forme avec la création d'une industrie
aéronautique binationale, et les liens que le pays développe avec l'Afrique du
Sud et d'autres pays africains, par l'entremise de la distribution de
médicaments génériques produits au Brésil à un coût de beaucoup inférieur à
celui des équivalents provenant des pays développés, laissent présager la
recherche de nouvelles alliances Sud-Sud qui permettrait de compenser l'état
d'isolement associé à une future ZLÉA qui exclurait le Brésil. D'autre part,
l'importance que prend depuis peu le dossier des négociations multilatérales
dans le cadre de l'OMS pour les autorités brésiliennes expriment sans aucun
doute le même malaise associé au rétrécissement des possibilités d'action du
Brésil sur le plan régional.
Dans ce
contexte, la stratégie d'insertion
multilatérale du pays, que l'on considère à Brasilia garante de l'indépendance
nationale à l'égard des grandes puissances, risque d'être mise à rude épreuve.
Compte tenu de la forte croissance du commerce avec l'Amérique latine, qui
s'observe depuis le début des années 90, et de la nécessité d'importants
surplus commerciaux pour l'équilibre des finances publiques, l'exclusion du
Brésil d'un marché continental comporte un coût très élevé que le gouvernement
brésilien n'est sûrement pas prêt à assumer. C'est sans doute ce qui explique
l'acceptation de la part du Brésil du principe de négociations bilatérales
impliquant le MERCOSUR et les États-Unis, une situation difficilement
envisageable au moment où les brésiliens invitaient les voisins
Sud-américains pour discuter d'un
projet qui était clairement formulé en réaction aux propositions commerciales
provenant d'Amérique du Nord.
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([1])
L’ensemble des exportations du Brésil représente seulement 8 % de son PIB, ce
qui en fait l’économie la plus fermée des Amériques. Voir les chiffres dans FMI
(1999).
([2]
) Cette question, très importante en ce qui concerne la stratégie brésilienne
face à la ZLÉA, est développée plus loin dans le texte.
([3])
Le même effet s'observe au niveau du commerce argentin qui est de plus en plus
diversifié quant à l'importance qu'occupent les différentes régions du monde
dans le commerce global du pays.
([4])
Les relations diplomatiques et commerciales entre les deux pays ont été souvent
marquées par des périodes de fortes tensions, particulièrement entre 1960 et
1980 où le nationalisme des militaires au pouvoir était confronté à la
politique de Washington à l’égard de la région.
([5])
Pour une analyse détaillée de la politique de libéralisation commerciale
brésilienne dans le cadre des négociations menant à un accord continental,
consulter Serra (1998).
([6]) L’expression puissance moyenne fait principalement référence à deux
facteurs : d’une part la capacité du pays à intervenir sur les principaux
marchés internationaux et, d’autre part, le rôle central que le pays joue en
Amérique du Sud depuis la fin des années 70. Pour une application du concept au
cas du Brésil voir Martins (1998).
([7])
Cette enquête est sous la responsabilité du NUPRI (Nucleo de pesquisas em relaçoes internacionais) de l’Université
de Sao Paulo.
([8]) Les paroles de Waldemar Carneiro Leao, diplomate brésilien, résument
la nouvelle stratégie poursuivie par Brasilia à partir de 1997: «Le Brésil a
tenté, dans un premier moment, de garder le pied sur le frein et, quand il a
réalisé que ce n'était plus possible, il a mis la main au volant pour tenter de
guider le processus», cité dans Oliveira (2000).
([10]) La Communauté andine rassemble la Bolivie, le Pérou, l'Équateur, la
Colombie et le Venezuela.
([11])
Cette
condition a encore été formulée par les Brésiliens en décembre 2000 au
moment du Sommet de Florianopolis qui a réuni les 4 pays du MERCOSUR.
([14]) La lecture du traité d’Asuncion montre son caractère essentiellement
économique destiné à la création d’un marché commun dans le Cône sud de
l'Amérique latine. Puisque le traité ne fait aucunement référence à
l’articulation de la politique internationale des États membres, les
partenaires sont toujours considérés autonomes face aux questions de nature
internationale. Voir à ce sujet R. Bernal-Meza (1999).
([15]) L’Uruguay et le Paraguay n’ayant aucune marge de manœuvre face à leurs
puissants partenaires, on peut présumer qu’ils s’aligneront sur la stratégie
argentine car ils ont tout à gagner d’un accès facilité au marché
nord-américain.
([17]) Avec un tarif extérieur moyen de 6 %, le Chili compte parmi les pays
les plus ouverts sur le plan du commerce extérieur en Amérique latine. Le
MERCOSUR est encore protégé par des barrières tarifaires importantes, par
l'entremise d'un tarif extérieur commun moyen équivalent à 13 %, ce qui représente une valeur élevée, et
ceci malgré un calendrier de réduction qui a déjà diminué de moitié les
barrières commerciales.