Actes des colloques du CRI


  • La vie itinérante
    99/06/04

    Aspects du quotidien de la vie itinérante.


    Pierre Verenka
    (CLSC des Faubourgs)
    « Codes de vie dans les refuges»

Le présent exposé repose sur une pratique de milieu en refuge, dont le substrat réside dans l'observation in vivo, du fonctionnement des refuges.

Afin de comprendre la réalité des codes de vie dans les refuges pour personnes itinérantes, il importe nécessairement de préciser d'abord le concept d'itinérance. Cela fait, il est alors plus facile ensuite de visualiser le quotidien de la vie en refuge.

Le phénomène de l'itinérance

Il nous apparaît incontournable, dans un premier temps, de considérer ce phénomène comme un symptôme de notre société. En effet, les usagers des refuges cumulent, pour la plupart, plusieurs problématiques qui ont conduit ces personnes vers le mode de vie itinérante. Selon cette vision, l'itinérance est perçue comme conséquence plutôt qu'une problématique en soi. Les personnes qui aboutissent dans les refuges présentent généralement deux caractères communs : une fragilité, reliée à un faible réseau de support social et une vulnérabilité à caractère économique.

Il nous apparaît également utile d'insister sur le fait que les usagers de longue date du réseau des services aux personnes itinérantes sont des décrocheurs sociaux : ils ont désinvesti la vie familiale, le travail et, par la force des choses, ont démissionné de la société.

Les problématiques rencontrées en itinérance sont nombreuses :

- alcoolisme/toxicomanie/gambling;
- problème psychiatrique sévère et persistant;
- problème de statut avec l'immigration;
- handicaps physiques, intellectuels;
- problème de revenu;
- délinquance/criminalité/déviance.



Les refuges devenus institutions

Ceci dit, la grande salle d'un refuge prend parfois des allures curieuses, image où se mêlent les caractéristiques d'une prison et d'un hôpital psychiatrique. Pourquoi ? Simplement parce que les refuges sont devenus des institutions qui donnent. Il n'est donc pas surprenant que des personnes qui ont connu des hôpitaux ou des prisons s'orientent vers des refuges. C'est que le refuge est un lieu familier chargé de repères significatifs. Il donne et encadre comme le font les prisons et les hôpitaux.

Comme dans les milieux institutionnels, les refuges donnent selon certaines conditions. Ils donnent en échange d'un comportement acceptable et respectueux. Les gens qui acceptent d'agir de cette façon acceptable et respectueuse reçoivent : une douche, des vêtements, un repas, un lit pour la nuit et un déjeuner. Comme pour toutes les institutions, les refuges acceptent qu'un comportement prévisible amène des services prévisibles.

Les codes de vie

Dans ces conditions, les codes de vie et donc la survie en refuge deviennent prévisibles : les usagers apprennent qu'une acceptation minimale de ces codes apportera une réponse à leurs besoins de base. Les conditions minimales d'acceptation dans les refuges sont : ne pas être en état d'intoxication avancée, ne pas user de violence physique ou verbale avec le personnel et les autres usagers, ne pas faire usage de drogues ou d'alcool dans les murs du refuge, ne pas faire le trafic de drogues dans les murs du refuge, remettre ses armes, médicaments ou drogues au comptoir à l'entrée, arriver avant l'heure du couvre-feu, quitter le refuge après le déjeuner, ne pas fumer dans les dortoirs, prendre une douche et ne pas porter atteinte au mobilier.


Les personnes qui respectent ces conditions peuvent utiliser les services du refuge aussi longtemps que bon leur semble. Par contre, celles qui ne respectent pas ces conditions sont exclues pour des périodes qui varient selon la gravité de l'offense ou du manquement. Si certaines personnes s'accomodent très bien de cette vie institutionnelle, — certaines ayant fréquenté les refuges pendant plus de 30 années consécutives — d'autres, par contre, ne s'en accomodent pas du tout. Pour ces dernières, la vie en refuge représente un choc très dur.

La vie en institution

La vie en institution dépouille les gens de leur unicité selon le principe de la « taille unique ». La vie des personnes itinérantes qui reçoivent des services est passive et remplie d'attente : on attend en ligne pour manger, on attend en ligne pour des vêtements, on attend en ligne pour dormir et on attend en ligne pour prendre sa douche.

Après des séjours prolongés dans les refuges/institutions et à force de recevoir, les usagers n'ont plus à développer ou consolider leurs aptitudes à la survie. Ils deviennent dépendants, institutionnalisés et, ce qui est plus dérangeant encore, ils se resocialisent dans le réseau des services aux personnes itinérantes. Ils y reconstruisent leur rapport à la société, se réaffilient dans un circuit parallèle qui donne plus qu'il n'exige.

Les coûts sociaux de cette réinstitutionnalisation sont faramineux. À long terme, la vie de refuge présente un réel danger, celui de retrancher la personne de sa société d'origine et de rendre difficile, voire impossible son insertion ou sa réinsertion dans cette société. Ce phénomène peut se résumer par cette expression courante :  « Il est facile de sortir le gars (ou la fille) du centre-ville. Par contre, il n'est pas facile de sortir le centre-ville du gars (ou de la fille) ».

Conclusion

Les refuges pour personnes itinérantes accueillent une kyrielle de décrocheurs sociaux, ceux et celles qui ont épuisé les services, qui ne se qualifient pas pour des services ou qui les refusent. Avec le temps, les refuges sont devenus des institutions et recréent malgré eux peut-être les mêmes risques engendrés par d'autres institutions (prisons, hôpitaux, centres de réadaptation) : dépendance (institutionnalisation) face à un réseau de services qui ouvre peu de portes de sortie, faute de moyens plutôt que de volonté, à de durables et réelles solutions à l'itinérance.

Est-ce vraiment au réseau de services de l'itinérance qu'incombe la tâche de créer ces voies de sortie ? Ou alors l'itinérance n'est-elle pas un symptôme, celui de nos institutions qui n'ont pas su ou pu s'adapter à la réalité de ces personnes ?



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