Globalisation et nouveaux cadres normatifs.
Le cas de l'Accord multilatéral sur l'investissement

Christian Deblock et Dorval Brunelle

Continentalisation, Cahier de recherche 98-2, Mai 1998


Résumé - Abstract

La notion de globalisation ne renvoie pas seulement à une transnationalisation de leurs activités de la part des entreprises, mais aussi à un nouveau mode d'articulation des espaces économiques nationaux et par voie de conséquence, des espaces public et privé à l'intérieur de ces derniers. Après avoir replacé l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) dans ce contexte nouveau, Christian Deblock et Dorval Brunelle soulignent que la globalisation n'a pas seulement pour effet d'entraîner l'arrimage des politiques économiques nationales aux politiques économiques internationales et d'engager les États dans une logique compétitive. Elle a également des incidences juridiques profondes dans la mesure où elle contraint les États à réviser l'ordre légal national pour les adapter aux nouvelles pratiques des acteurs privés d'une part, à l'approfondissement des processus intégratifs économiques au niveau mondial comme au niveau régional, d'autre part. L'AMI innove, tout en suscitant controverses et oppositions. Il innove en accordant un niveau de protection inégalé à l'investisseur et à ses investissements et en imposant aux États de reconnaître la primauté des droits de propriété sur les droits collectifs ou sociaux. Par contre, il place les États dans la position de ne plus pouvoir être les garants de la cohésion des sociétés et de l'intégrité des espaces publics à l'intérieur de leur périmètre de juridiction.

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One of the effects of globalization has been to blur the line between national and international economic policies, with the result that the States and governements have been engaged in competitive strategies. In this context, the Multilateral Agreement on Investment (MAI) has new and original implications at both the national and international levels. At the national level, the agreement will seriously limit the extent and scope of lawmaking by domestic authorities ; at the international level, the agreement will extend the transnationalization of private norms. One of the MAI's major effects is to extend the private sphere and to deepen the integration of national economies at the world and regional levels, but at the expense of both a public sphere of production and social justice.

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Bien que "... l'établissement de l'OMC mérite d'être considéré comme l'un des événements majeurs de la décennie, aussi importante aujourd'hui que la fondation du système multilatéral le fut en son temps" (OMC, 1996, p. 5), c'est pourtant sous les auspices d'une autre organisation économique internationale, l'OCDE, qu'ont été lancées, en mai 1995, les négociations qui devraient déboucher sur la signature d'un accord multilatéral sur l'investissement (AMI) [1]. L'enjeu de ces négociations est majeur, puisqu'il s'agit de mettre au point un accord dont la portée juridique devrait être la plus large possible de manière à assurer à l'investisseur et à ses investissements le meilleur accès aux marchés, la plus grande protection et un traitement de la part du pays d'accueil équivalent à celui que celui-ci accorde à ses propres investisseurs[2]. Des mécanismes particuliers d'arbitrage des différends à caractère obligatoire viennent sanctionner son opérationnalisation[3]. Une fois signé, l'accord devrait baliser tout un domaine des relations économiques internationales qui avait jusqu'à maintenant été couvert dans des accords bilatéraux ou régionaux et, ce faisant, il sera inévitablement confronté non seulement au problème de l'arrimage entre tous ces accords, mais également au problème de sa compatibilité avec tous ces cadres nationaux de qui relève le traitement des investissements étrangers. En ce sens, cet accord apparaît rien moins que novateur, dans la mesure où il sanctionne la reconnaissance d'un nouveau statut juridique international de fait aux «investisseurs» d'une part, et qu'il limite fortement la marge de manoeuvre de l'État, d'autre part. Au demeurant si, comme c'est le cas des accords internationaux, l'AMI intègre certaines "exceptions générales" et autorise les parties contractantes à recourir à certaines mesures de "sauvegarde" temporaire, là où il innove également, c'est au niveau de son applicabilité puisqu'il couvre tous les domaines à l'exception des "réserves" spécifiques que les parties contractantes auront décidé, d'un commun accord, de soustraire à son champ d'application[4]. Nous reviendrons plus avant sur la signification de cette rupture par rapport aux accords anciens.

Enfin, il convient de retenir que l'accord est "autonome" et que les pays non-membres de l'OCDE pourront y adhérer. En attendant, les pays membres de l'OCDE représentent 85 % des sorties d'investissements directs étrangers (IDE) dans le monde et 60 % des entrées[5], en conséquence, le fait que l'Accord soit négocié sous les auspices de l'OCDE et non sous celles de l'OMC est déjà révélateur de la tension qui existe à l'heure actuelle sur la scène internationale entre les pays développés et les autres. Tandis que les premiers cherchent à faire évoluer l'ordre économique international, pour l'adapter aux réalités nouvelles de l'économie mondiale, les seconds cherchent plutôt à préserver leurs droits souverains sur leur espace économique national dans un contexte d'après-guerre froide où les considérations économiques en matière de sécurité tendent nettement à prendre le pas sur les considérations stratégiques traditionnelles. Cependant, s'il pouvait sembler plus aisé de négocier un accord qui viendrait uniformiser les règles en matière d'investissement et en quelque sorte niveler le terrain sur lequel devrait s'établir la concurrence à l'intérieur d'une enceinte où le nombre des acteurs impliqués est plus limité et les intérêts plus convergents qu'à l'OMC, il est très vite apparu, à travers les discussions sur les réserves[6] notamment, que les dissensions étaient suffisamment fortes pour entraîner à deux reprises le report des négociations, une première fois en mai 1997 et une seconde fois à la fin du mois d'avril 1998. Elles montrent ainsi à quel point il est ardu pour les pays développés de composer entre les exigences des investisseurs et la sauvegarde de leur sécurité économique.

Qui plus est, ces négociations, qui devaient demeurer, sinon secrètes comme c'est le cas de toute négociation, du moins restreintes à un nombre limité d'intervenants, se sont retrouvées sur la place publique et soumises au feu nourri d'une critique qui est venue des horizons politiques les plus divers et aussi éloignés les uns des autres sur le plan idéologique que peuvent l'être des groupes comme la Western Governors' Association, Public Citizen' Global Trade Watch ou le Sierra Club aux États-Unis, le Conseil des Canadiens, l'Institut Polaris ou Solidarité Populaire Québec, au Canada, pour ne mentionner que ceux-là[7]. Rarement d'ailleurs aura-t-on vu un accord encore en l'état de projet susciter autant de débats passionnés et soulever une telle levée de bouclier[8] au point que, prenant acte de l'ampleur du phénomène, le Conseil de l'OCDE au niveau des ministres, a jugé nécessaire de rappeler dans son communiqué en date du 28 avril 1998 que l'AMI devait "être conforme au droit souverain des gouvernements de conduire leurs politiques nationales" ; et, dans la même veine, de reconnaître que : "l'AMI était désormais au coeur d'un débat public qui s'inscrivait dans le cadre plus large du débat sur les conséquences de la mondialisation. Il faut poursuivre les consultations avec les organisations non gouvernementales ainsi qu'avec les représentants des organisations patronales et syndicales." En fait, si ces négociations mettaient en lumière la tension qui existait entre le droit des États et le droit émergent des entreprises, le mouvement d'opposition populaire faisait également ressortir cette autre tension entre l'exigence d'adapter le droit national aux évolutions d'une économie de marché devenue globale et celle d'assurer la cohésion des sociétés et l'intégrité des espaces publics à l'intérieur du périmètre national de l'État, une cohésion et une intégrité qui sont elles-mêmes mises durement à l'épreuve par la globalisation.

C'est cette double tension que nous voulons faire ressortir dans les pages qui suivent[9]. À ce propos, il convient de souligner deux choses : en premier lieu, la principale innovation de l'AMI ne réside pas seulement dans l'élaboration de principes juridiques qui doivent protéger l'investisseur international et ses investissements, elle tient d'abord et avant tout à la sanction de deux normes originales, l'une qui accorde à un "investisseur" la capacité d'obtenir lui-même réparation contre des États, l'autre qui comporte une approche dite "positive" en vertu de laquelle l'accord s'applique à tous les domaines, à l'exception de ceux qui sont prévus dans des clauses d'exception et de réserve[10],. En deuxième lieu, l'établissement de ce nouveau cadre normatif engage les pouvoirs publics sur la voie d'une révision en profondeur de la ligne et partage entre les espaces public et privé sur le territoire national.

Le texte est subdivisé en deux parties. Dans la première partie, nous étudierons le nouveau contexte économique dans lequel s'inscrit le projet d'accord, ce qui nous permettra de relever les principaux traits de l'actuel modèle d'intégration à l'échelle mondiale et d'identifier les forces qui appellent son instauration ; dans la seconde partie, nous traiterons des changements institutionnels qu'exige l'établissement d'un régime international plus libéral, plus transparent, plus sécuritaire et plus prévisible pour l'investisseur. Nous reviendrons dans cette partie sur les innovations de l'AMI, non sans souligner en parallèle les tensions que soulève l'opérationnalisation de ces innovations aux niveaux national et international. En conclusion, nous soumettrons quelques réflexions sur le défi théorique que soulève l'AMI.

Le nouveau contexte : de l'économie internationale à l'économie globale

La plupart des études en économie internationale ne manquent pas de souligner la croissance phénoménale des investissements internationaux ces dernières années et, parallèlement, la présence de plus en plus marquée des firmes transnationales (FTN) que ce soit dans les échanges internationaux ou dans l'activité économique des pays.

Les données sont à cet égard tout à fait saisissantes. La CNUCED (UNCTD, 1997) estime aujourd'hui à environ 44 000 le nombre de FTN, et à 280 000 celui de leurs filiales[11]. Ces entreprises réalisent des ventes totales de près de 7 000 milliards de dollars et des investissements directs de l'ordre de 3 200 milliards de dollars. On prend mieux la mesure de leur importance lorsqu'on considère que le PNB mondial s'élève à environ 30 000 milliards de dollars (tableau 1).

L'autre phénomène non moins saisissant, c'est celui de la croissance des investissements directs étrangers (IDE) [12]. Certes, en comparaison des années 1980, cette croissance s'est quelque peu ralentie pendant la première moitié de la présente décennie, pour des raisons qui tiennent en grande partie à l'impact qu'a eu sur l'économie mondiale la crise de 1991-1993[13] mais, ceci dit, il reste que, premièrement, le taux de croissance des IDE reste en moyenne très supérieur à celui du commerce international[14] et, partant, à celui de la production mondiale[15] et que, deuxièmement, depuis 1985, on note une très nette accélération dans la tendance sur la longue période, un phénomène que l'on ne peut dissocier ni de l'ouverture accrue des marchés ni de l'attrait qu'exerce sur les investissements la forte croissance économique des pays dits "émergents".

Nous venons d'évoquer l'importance grandissante des FTN dans l'économie mondiale, car elles sont responsables des deux-tiers du commerce mondial[16], dont un tiers représente du commerce intra-firme[17]. Reflet de cette nouvelle réalité, les FTN [18] sont également au coeur de l'activité économique des pays[19].

Il y a plusieurs façons d'évaluer cette importance au niveau quantitatif : on peut prendre la part de la production des filiales étrangères dans le PIB d'un pays, ou celle des investissements dans la formation brute de capital fixe, ou encore le rapport de l'encours des investissements internationaux au PIB, ou, enfin, on peut comparer les ventes des filiales étrangères aux exportations. Les tableaux 2, 3 et 4 reprennent ces différents indicateurs. Ils n'appellent guère de commentaires particuliers, sinon qu'ils ont, chacun à leur manière, le mérite de nous montrer clairement à quel point les FTN sont devenues des acteurs économiques majeurs, particulièrement dans les pays en développement, et qu'à cet égard, la globalisation de leurs activités est un phénomène qui gagne en extension et en profondeur. Or, et c'est là que nous touchons au coeur du problème, si plusieurs analystes s'entendent pour dire que la globalisation est un processus irréversible qui s'inscrit dans la longue durée du capitalisme et qui s'étend au plus grand nombre de pays, y compris de ceux qui étaient restés longtemps en marge de l'économie mondiale, c'est aussi un phénomène qui induit des transformations profondes dans l'économie mondiale, à la fois dans son architecture et dans sa dynamique intégrative.

Bien sûr, la transnationalisation des entreprises n'est pas une stratégie nouvelle [20] ; c'est un phénomène qui s'inscrit au coeur même du capitalisme et que, soit dit en passant, Marx avait déjà repéré il y a cent cinquante ans ! C'est toutefois dans l'après-guerre que le processus actuel a pris son essor, sous l'impulsion des entreprises américaines dans un nouveau cadre de libéralisation des échanges[21]. Aujourd'hui, les firmes américaines sont toujours au coeur du phénomène, tout comme les États-Unis demeurent encore, et de loin, le principal pays d'origine des investissements directs à l'étranger. En témoigne de façon fort éloquente le fait que, selon la CNUCED, les cinq plus grandes entreprises transnationales américaines contrôlent 19 % des investissements directs à l'étranger, les dix premières 33 % et les cinquante premières 63 %[22], ou encore le fait que le quart des investissements directs dans le monde sont originaires des États-Unis (tableau 5). De même il est clair encore aujourd'hui que s'il existe un rapport très étroit entre les investissements et le commerce, il existe parallèlement un rapport entre la localisation géographique des investissements et le niveau de développement des marchés. Toutefois, pour aussi fortes que soient ces réalités, elles ne doivent pas nous conduire à mésestimer le fait que, si le phénomène de transnationalisation des entreprises possède sa propre dynamique, cette dynamique se trouve également alimentée tout autant par l'environnement économique du pays d'origine que par celui du pays d'accueil (Dunning, 1996). En fait, le processus trouve sa finalité et sa raison d'être tout autant dans la manière dont les entreprises entendent tirer parti des différences qui existent entre les économies nationales dans un monde segmenté en autant d'espaces qu'il y a d'États souverains, que dans la manière dont elles organisent et partagent les activités entre les différentes unités de production qui composent leurs réseaux. Nous assistons ainsi à la mise en oeuvre au niveau de l'économie mondiale de ce que Michalet a appelé une dialectique d'homogénéisation et de différenciation [23].

Trois tendances de fond caractérisent cette dialectique : la première, c'est que les investissements directs étrangers sont non seulement de plus en plus croisés entre les pays développés, mais aussi plus diversifiés sur le plan géographique que ne le sont les échanges commerciaux (UNCTD, 1997). Le cas exemplaire en la matière est encore celui du Canada, qui longtemps considéré comme une économie de filiales a vu "ses" entreprises investir massivement à l'étranger, avec le résultat inattendu que l'encours des investissements directs canadiens à l'étranger est aujourd'hui à peu près égal à celui des investissements étrangers au Canada (Graphique 1). De même, si le Canada est plus dépendant que jamais des États-Unis sur le plan économique, force est aussi de constater en même temps que ce degré de dépendance est sans doute un peu moins élevé au niveau des investissements directs qu'il ne l'est au niveau du commerce.

À propos de la seconde tendance, si, encore aujourd'hui, les pays développés concentrent plus de 70 % des investissements directs totaux dans le monde, tout comme ils sont à l'origine de plus de 90 % de ces investissements[24] (tableau 6), force est de constater là également que les choses changent rapidement, comme l'illustre le tableau 5[25], qui présente la répartition géographique des flux d'investissements directs internationaux selon l'origine et selon la destination. Entre 1991 et 1996, le tiers environ des flux d'investissements ont été orientés vers les pays en développement, principalement vers les pays d'Asie du Sud-Est et, dans une moindre mesure, d'Amérique latine. Certes, ces investissements restent très concentrés sur un nombre limité de pays ; ceci dit, même s'il convient de rester prudent face à l'éventuelle reversibilité de ces tendances, on assiste à un phénomène d'intégration d'un nombre croissant de pays en développement à l'économie mondiale. Nous avons ainsi affaire à un phénomène de rattrapage économique qui touche plusieurs pays, avec le résultat que la carte économique du monde évolue trop rapidement pour qu'on en reste aux images de plus en plus désuètes d'une économie-monde qui serait divisée entre un centre et une périphérie, entre le Nord et le Sud [26].

La troisième tendance de fond a trait à la nature même de la globalisation[27]. Les statistiques auxquelles nous avons fait appel plus haut nous ont jusqu'ici permis de prendre la mesure de l'importance grandissante des FTN dans la vie économique des pays, de même que des transformations de l'économie mondiale qui accompagnent le déploiement et le redéploiement de leurs activités. Elles ne nous éclairent guère cependant sur les formes nouvelles que prend l'intégration à l'intérieur de cette économie mondiale. Or, si l'on peut douter de la pertinence de certaines études qui voient dans la globalisation un phénomène qui participe d'un certain universalisme[28], on ne peut douter par contre du fait que les économies sont aujourd'hui de plus en plus interreliées, non pas tant parce que marchandises, services et capitaux circulent davantage et toujours plus librement, mais parce qu'au fur et à mesure qu'elles étendent et élargissent le champ de leurs activités, les FTN se trouvent par le fait même à redéfinir les termes des rapports qui unissent les différents espaces économiques nationaux entre eux, selon des stratégies organisationnelles qui leurs sont propres [29] .

Dans deux études différentes, mais au demeurant fort complémentaires, l'OCDE (1992) et la CNUCED (1997) ont essayé de montrer en quoi la globalisation actuelle marque une étape nouvelle dans l'internationalisation de la production [30]. On ne peut dissocier le phénomène lui-même de ces deux autres phénomènes tout aussi marquants que sont, pour le premier, la libéralisation continue des échanges depuis la Deuxième Guerre et, pour le second, les changements technologiques dans les domaines de l'information et des communications. Autant la libéralisation des échanges a contribué à renforcer les interdépendances économiques et, parallèlement, à créer un environnement normatif favorable à l'internationalisation des activités des entreprises, autant les changements technologiques récents ont eu pour effet, non seulement de réduire considérablement les coûts de transaction propres à toute implantation à l'étranger, mais également de modifier profondément les méthodes de gestion, de production et d'organisation des grandes FTN, avec le résultat que nous avons assisté à l'émergence d'un nouveau type de FTN, la firme globale[31]. De plus, ce sur quoi s'attardent ces deux études, et d'autres d'ailleurs, ce n'est pas tant sur les différents facteurs qui permettraient d'expliquer ce que l'on désigne aujourd'hui sous le terme de "la globalisation", sinon sur les formes nouvelles de l'intégration des économies à travers l'extension des activités des FTN à l'échelle planétaire et sur l'émergence du nouveau modèle d'organisation des activités qui accompagne cette extension. Autrement dit, ce qui caractérise la globalisation, ce n'est pas que les économies soient devenues plus interdépendantes que jamais, au delà de la désynchronisation actuelle des conjonctures entre les trois grandes régions économiques du monde, mais bien le fait que la plupart des pays sont compromis dans cette logique compétitive des firmes d'une part et que chacun d'eux voit son économie internalisée dans leurs réseaux en fonction de cette logique, d'autre part.

Dans ces conditions, ce qui est en train de se mettre en place, ce ne serait rien moins qu'un système de production de plus en plus intégré à l'échelle mondiale. Cette évolution serait liée à deux causes : la première tient au fait que les unités qui composent ce système, en l'occurrence les différentes filiales des groupes transnationaux, se trouvent interconnectées en réseaux, chaque filiale trouvant sa place dans le système en fonction de l'application de stratégies de plus en plus globales de gestion, de production et d'investissement de la part des groupes dominants. La seconde cause est imputable à la complexité de réseaux à l'intérieur desquels il est de plus en plus difficile de repérer des frontières claires et des opérations délimitées. À partir de ces éléments, nous pouvons tirer trois conclusions principales : premièrement, tout se passe comme si les entreprises étaient en train de reproduire sur la scène internationale, le même modèle d'intégration corporative que celui que l'on rencontrait naguère à l'intérieur des frontières nationales ; deuxièmement, les modalités d'intégration des économies nationales à la nouvelle économie mondiale se trouvent de plus en plus déterminées par la place que les FTN occuperont à l'intérieur de ce système de production international ; et finalement, avec l'émergence de ce nouveau modèle d'organisation de la production à l'échelle mondiale, on assisterait parallèlement à l'émergence d'un nouveau modèle d'intégration économique internationale. Ce modèle, la CNUCED le qualifie d'intégration "en profondeur" ("deep integration") pour mieux le distinguer du modèle antérieur qualifié d'intégration "en surface" ("shallow integration"), dans le sens où l'on assisterait au passage d'une intégration par le commerce à une intégration par les chaînes de production (et de valeur).

En somme, même si cette réalité nouvelle qu'est la globalisation est encore, comme a pu l'écrire un auteur, "confusément perçue" (Michalet, 1994, p. 14), il n'empêche que la transnationalisation croissante des activités des entreprises a pour effet de modifier de fond en comble non seulement la nature des rapports que les États entretiennent entre eux au sein de l'économie mondiale, mais également la manière dont se trouvent désormais intégrés les différents espaces économiques nationaux qui la composent. Ceci étant, et c'est l'autre aspect du problème sur lequel nous allons maintenant nous attarder, si ces nouvelles tendances constituent un puissant incitatif à une réforme en profondeur des cadres normatifs qui ont régi jusqu'à maintenant les échanges internationaux, le cheminement qui doit conduire à cette réforme est loin d'être aussi linéaire que voudrait bien le laisser croire une certaine conception fonctionnaliste de la coopération économique internationale[32]. En effet, non seulement devons-nous tenir compte des États en tant qu'ils sont sollicités par deux forces contradictoires, celles qui émergent du système économique international lui-même et celles qui émergent du rôle qu'ils sont amenés à jouer vis-à-vis de leur propre société civile[33], mais nous devons tenir compte également des interactions complexes qui se nouent entre les stratégies pro-compétitives auxquelles les gouvernements ont recours pour assurer la croissance en économie ouverte et celles que se donnent de leur côté les entreprises pour assurer leur propre rentabilité à l'intérieur du système mondial. À son tour, ce système, en devenant plus ouvert, accorde certes une plus grande marge de liberté aux FTN mais, en même temps, il leur impose des formes et modalités de concurrence qui sont elles aussi profondément transformées [34].

Une concurrence loyale sur des marchés "contestables" ?

Le principe général qui doit, aux yeux de certains économistes, guider la définition des règles, c'est celui du maintien d'une concurrence loyale sur des marchés "contestables"[35]. Ce principe doit s'appliquer indistinctement aux entreprises comme aux États et il découle d'une exigence forte, celle qui sanctionne la séparation entre les sphères publique et privée. Cette démarcation est à la base de l'édifice de la modernité, du moins à l'intérieur des frontières nationales. L'enjeu, à l'heure actuelle, consisterait à transposer cette séparation au niveau international et partant, à construire le cadre juridique d'une société civile globale en émergence dans la mouvance de l'ouverture des frontières et de la transnationalisation des pratiques des acteurs économiques[36]. Pour utiliser une formule forte, la modernité libérale avec son principe de séparation entre des espaces public et privé serait en passe de déborder et de sortir du cadre étroit des frontières nationales à l'intérieur desquelles elle avait été édifiée jusqu'ici.

L'approche suivie depuis la Deuxième Guerre a consisté à jeter graduellement les bases juridiques de l'économie mondiale à partir d'États qui négociaient les conditions d'accès à leurs marchés sur une base réciproque. Cette approche a certes permis la reconstruction de l'économie internationale, mais elle est devenue trop lourde pour être efficace, et surtout, mésadaptée aux exigences d'une économie mondiale où il s'agit moins de gérer les rapports entre les États sinon de définir le cadre général dans lequel devrait se déployer l'activité des entreprises et ce, dans l'ensemble des domaines qui affectent de près ou de loin leurs opérations. En vue de doter cet espace privé de décision d'un cadre normatif adapté à ses contraintes et défis, il conviendrait donc, selon le modèle libéral, de passer à une nouvelle étape. Cette étape devrait permettre de consacrer, sur le plan juridique, une intégration économique à l'échelle planétaire qui ne transiterait plus par les États, mais par les marchés et ce, afin de surmonter les entraves posées par les droits nationaux. Il s'agit alors de substituer à l'approche fondée sur des transactions entre droits, devoirs, et responsabilités des uns et des autres, une approche fondée sur la sanction d'une obligation de résultat imposée universellement auprès de tous. Il y aurait ainsi une exigence de sécurité, une «demande d'institutions» diraient les politologues, en provenance du système lui-même[37], exigence à laquelle il revient aux pouvoirs publics de répondre pour que ce système puisse opérer de la manière la plus efficiente et la plus propice qui soit au développement du progrès économique et social[38]. Nous assisterions alors à la mise en place d'une nouvelle logique de système dont l'AMI serait à la fois le modèle et le révélateur.

Les défenseurs de l'AMI, prétendent que cette évolution est inéluctable et, en ce sens, ils inscrivent leur réflexion dans une perspective fonctionnaliste, c'est-à-dire, dans un schéma selon lequel l'AMI contribuerait à accroitre le bien-être économique vers lequel on tendrait inéluctablement pour autant que la concurrence soit assurée et que les marchés remplissent leur fonction régulatrice. Les critiques de cette interprétation complaisante sont nombreuses [39]. Ceci dit, nous voudrions toutefois relever un aspect particulier dans la discussion, à savoir que les États existent à la fois comme acteurs souverains de la scène internationale et comme médiateurs des intérêts divergents des groupes qui composent les sociétés sur leur périmètre[40]. Et, parce que les États existent, il faut compter avec eux (States do matter!) (Hurrell et Woods, 1994) et ce, même s'ils se trouvent directement interpellés pour établir un nouveau cadre normatif et mettre en place les institutions qui vont dans le sens des nouvelles évolutions de l'économie mondiale décrites plus haut[41]. Mais avant d'en arriver là, et pour compléter l'argument soutenu, un retour en arrière s'impose afin de cerner la part des investissements internationaux dans l'ordre international d'après-guerre.

De Bretton Woods à l'AMI

Au risque de simplifier, nous pouvons dire que l'ordre économique international d'après-guerre a été construit, ou plutôt, reconstruit, autour d'un double engagement de la part des États en faveur d'un progrès économique et social orienté vers le plein emploi et la sécurité du revenu, d'une part, en faveur d'une ouverture disciplinée et régulée des marchés internationaux, d'autre part[42]. C'est ce double engagement qui fut à l'origine de l'État-Providence et des grandes institutions économiques internationales. À son tour, cet engagement reposait sur un double compromis : au niveau national, entre les grands acteurs socio-économiques ; au niveau "inter-national", autour des principaux régimes internationaux mis en place entre les grandes puissances, à l'exception de l'URSS. De ceci sortiront deux systèmes séparés de négociation : un système tripartite, impliquant l'État, le patronat et le syndicat au niveau national ; un système multilatéral, passablement hétéroclite au fond, impliquant États et organisations internationales au niveau international, où les États occupaient l'avant-scène, mais sans que cette prééminence ait pu exclure le recours soit au bipartisme (c'est-à-dire à l'implication du patronat), voire même au tripartisme dans certains cas, rares il est vrai, comme le représente encore et toujours l'exemple de l'Organisation internationale du travail (OIT). Grâce à ces alliances et compromis, il a été possible de reconstruire les solidarités nationales et les interdépendances économiques internationales et, dans la mouvance de cette reconstruction, de relancer aussi bien la croissance que les échanges internationaux.

Quel a été le sort réservé aux investissements internationaux à l'intérieur de ce nouvel ordre?

Keynes, lorsqu'il présenta, en 1943, la version finale de son "plan" pour une Union internationale des paiements, considérait que le contrôle des mouvements de capitaux, à l'intérieur comme à l'extérieur, devait, pour des raisons de stabilité politique et financière, être "un trait permanent du système d'après-guerre"(section VII, points 32 à 33). Il ne s'agissait pas, disait-il, de mettre un terme aux investissements internationaux mais au contraire, de les faire contribuer au développement des économies nationales et de contrôler les mouvements spéculatifs à court terme. Or, si la question du contrôle international des mouvements de capitaux a pu faire l'objet de nombreux débats, que ce soit pendant les négociations bilatérales entre le Royaume-Uni et les États-Unis qui ont précédé la signature des accords de Bretton Woods, ou encore pendant celles qui ont conduit à la signature de la Charte de la Havane en 1948[43], force est de constater que rien de concret n'est sorti de ces débats et qu'à toutes fins pratiques, cette question a été confiée à la seule responsabilité des États. Certes, et c'est ce que souhaitait Keynes[44], il aurait pu en aller autrement, mais il convient de prendre acte du fait qu'il s'agissait là d'une question qui était d'autant plus controversée à l'époque qu'elle touchait non seulement directement au droit de propriété mais aussi au droit des États de légiférer et de réglementer ce domaine, un droit dont ceux-ci entendaient d'autant plus se prévaloir qu'il s'agissait d'intervenir plus directement qu'ils ne l'avaient fait jusque là sur le plan économique. De plus, à travers cette question du contrôle des mouvements de capitaux, ce qui était en cause également c'était la question des mandats à confier au FMI et à la BIRD et, par voie de conséquence, celle de leur implication effective sur les marchés des changes dans le cas de la première, dans le financement du développement dans le cas de la seconde. Enfin, et cet enjeu suffira à lui seul pour clore le débat, établir un régime international aussi controversé que pouvait l'être un régime sur les investissements et les flux de capitaux ne pouvait faire partie des priorités des États-Unis ou, pour être plus exact, pas dans les termes dans lesquels leurs partenaires européens et sud-américains notamment, entendaient alors engager le débat en question.

Est-ce à dire qu'il ne restera rien de tous ces affrontements ? Pas tout à fait. Plusieurs tentatives ont été faites pour essayer de sanctionner un cadre normatif qui encadrerait les mouvements de capitaux et les investissements. Mais la plupart de ces tentatives n'ont jamais vraiment abouti. Et lorsqu'elles ont abouti, comme ce fut le cas des deux Codes de libération qui furent signés en 1961 par les pays membres de l'OCDE, l'un sur les mouvements de capitaux et l'autre sur les opérations invisibles, les accords signés avaient davantage un caractère d'obligation morale qu'un caractère réellement contraignant. En revanche lorsqu'elle avait un caractère contraignant, la portée des accords restera limitée soit géographiquement, comme ce sera le cas avec les dispositions contenues dans le Traité de Rome signé en 1957, dispositions qui seront reprises, renforcées et élargies dans les traités signés par la suite[45], soit sectoriellement comme ce sera le cas des deux Conventions signées dans le cadre de la Banque mondiale, la première, en 1965, concernant le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États, et la seconde, en 1985, de celle portant création de l'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI)[46]. En fait, deux raisons principales ont toujours empêché la signature d'un accord multilatéral sur l'investissement : la première a trait aux préoccupations économiques nationales qui prévalaient dans la plupart des pays durant toute cette période qui va de la deuxième Guerre au tournant des années 1980 ; la seconde, au climat d'animosité qui prévalait dans les relations entre les pays du Nord et ceux du Sud, des années cinquante jusqu'aux années quatre-vingt.

Dans le cas des pays industrialisés, la question du contrôle des changes trouvera finalement sa réponse au FMI, avec le retour à la convertibilité des monnaies à la fin des années cinquante, puis avec le retour à la flexibilité des changes dans les années soixante-dix. La question des investissements directs étrangers restera, par contre, et pendant longtemps, un sujet de discorde, à tout le moins un sujet fort sensible. Pour tous les pays, en effet, à l'exception notable des États-Unis, conserver un droit de regard sur les investissements étrangers, c'était se donner ainsi les moyens de préserver l'indépendance économique nationale. À ceci viendra s'ajouter une autre préoccupation : celle de compléter les politiques macro-économiques alors orientées sur le plein-emploi par des mesures à caractère plus structurel orientées vers l'industrie et les régions. Si, d'une façon générale, ces mesures devaient passer par l'État et l'aide à l'industrie, elles devaient passer aussi par l'imposition de contrôles sur les investissements étrangers[47]. Justifiés au nom de l'intérêt national, ces contrôles seront toujours plus étendus, ce qui n'empêchera toutefois pas les uns et les autres de chercher à préserver leur image de pays qui se voulaient ouverts et accueillants aux investissements étrangers et ainsi tirer également parti du savoir-faire, des capitaux, des technologies, etc. que pouvaient apporter les FTN. Le cas du Canada est, à cet égard, tout à fait exemplaire et suffisamment bien connu pour que nous ne nous y arrêtions pas, sinon pour souligner que, à l'instar de bien d'autres, le gouvernement saura maintenir un arbitrage politique délicat entre l'ouverture aux investissements étrangers et le contrôle des leviers économiques pendant toute la période qui va grosso modo du tournant années soixante au milieu des années soixante-dix. Cette stratégie sera l'une des causes de sa forte croissance économique et de son rattrapage en termes de gains de productivité face à son puissant voisin.

Du côté des pays en développement, le problème se posera différemment. Au souci d'indépendance économique nationale que l'on trouve déjà dans les pays industrialisés, va venir s'ajouter une préoccupation spécifique. Elle a trait au modèle d'industrialisation par substitution aux importations que la plupart des pays tenteront d'implanter dans l'après-guerre, et ce, afin de corriger un mal développement dont les causes étaient alors imputées à la situation de dépendance dans laquelle les confinaient le caractère extraverti de leur production, la forte composante en ressources naturelles de leurs exportations et la présence d'entreprises multinationales jouissant sur leur territoire de rentes monopolistiques. Ici aussi, on rencontre le même paradoxe que celui que nous venons d'évoquer, à savoir que l'implantation d'un tel modèle exigeait une forte présence de l'État dans l'économie et son appui aux producteurs nationaux, à quoi devait s'ajouter une participation des investissements étrangers au développement de l'économie. À l'inverse toutefois de ce qui s'est passé dans les pays développés, ces deux conditions ne furent jamais vraiment remplies : si les marchés nationaux furent effectivement protégés, le développement économique souffrit grandement des lourdeurs bureaucratiques, de la faible productivité des industries locales et, finalement, du peu d'intérêt que le FTN accorderont pendant longtemps à ces marchés[48].

Durant ces années, l'attitude de certains segments des populations des pays du Nord comme de ceux du Sud, était parfois très hostile vis-à-vis vis des FTN, comme en témoigne l'abondance de la littérature critique à leur endroit à l'époque. Cette attitude n'est d'ailleurs pas étrangère au fait que l'on cherchera à lier les discussions sur les investissements internationaux à l'établissement de codes de bonne conduite pour les firmes multinationales. Cependant, par delà cette hostilité, qui trouvait en grande partie ses racines dans les perceptions négatives que l'on se faisait d'entreprises qui avaient pour caractéristiques d'être transnationales justement et, par surcroît, d'être surtout d'origine américaine[49], il faudrait aussi prendre en ligne de compte le fait que le débat sur les investissements internationaux s'inscrivait lui-même, aux yeux des pays en développement, dans un débat plus large sur le Nouvel ordre économique international[50]. Aussi n'est-il pas anodin de relever que c'est durant les années soixante-dix, alors que les pressions en faveur de l'instauration d'un tel ordre se feront plus fortes et que les débats s'avéreront plus polarisés, que se multiplieront les initiatives visant la définition de nouvelles règles de droit. Ainsi, à l'ONU, peu de temps après avoir adopté, de peine et de misère, le premier mai 1974, la Déclaration et un Programme d'action concernant l'instauration d'un nouvel ordre économique international, et plus difficilement encore, le 12 décembre 1974, la Charte des droits et des devoirs économiques des États, les États membres entreprendront, entre 1977 et 1983, des négociations en vue d'élaborer un code de bonne conduite relatif aux sociétés transnationales[51]. Ces négociations n'aboutiront toutefois pas[52]. C'est à l'Organisation internationale du travail (OIT), par contre que les pays membres parviendront finalement à s'entendre sur une Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et les politiques sociales (1977) . De son côté, la CNUCED adoptera, en 1980, un Ensemble de principes et de règles équitables convenus au niveau multilatéral pour le contrôle des pratiques commerciales restrictives [53]. Mais ces déclarations auront davantage valeur morale qu'impact. La seule a avoir eu une certaine portée, encore qu'elle ait été faible, ce fut la Déclaration sur l'investissement international et les entreprises multinationales, accompagnée des Décisions, portant le même titre, qui seront signées en 1976 par les pays membres de l'OCDE et que l'on retrouve actuellement, dans leur version révisée de 1991, en annexe au projet d'AMI.

Nouveau consensus ou nouvelle concurrence systémique ?

L'OMC signale que l'on a assisté, depuis deux décennies, à "l'apparition d'un consensus quasi-mondial sur les principes fondamentaux de la politique commerciale..." (OMC, 1996, p. 5)[54]. La politique commerciale[55] des pays s'inscrit, en effet, dans une dynamique nouvelle dont l'objet est de redéfinir tout autant les paramètres de l'insertion dans une économie mondiale, que les cadres d'intervention de l'État dans un domaine où les intérêts nationaux ont depuis toujours été défendus âprement. Il est devenu d'autant plus difficile pour les gouvernements de faire marche arrière que, profitant de l'ouverture qui leur a été faite, les entreprises multinationales ont considérablement élargi le champ de leurs opérations d'une part, et que ces mêmes gouvernements se trouvent eux-mêmes pris dans l'engrenage d'une libéralisation qui les engage dans une concurrence de plus en plus vive et ouverte les uns vis-à-vis des autres d'autre part[56]. Entre temps, puisque les politiques publiques sanctionnent elles-mêmes une libéralisation toujours plus grande du commerce et des mouvements de capitaux à l'interne, les États ne pouvaient que s'engager dans un processus analogue au niveau international. En ce sens, le virage libre-échangiste engagé par les politiques publiques illustre à quel point les États cherchent à tourner la globalisation à leur avantage [57], une stratégie qui engendre de nouvelles rivalités systémiques[58].

Quatre faits sont à cet égard particulièrement notables.

Le premier, et sans doute le plus étonnant si nous considérons ce que nous avons dit plus haut, a trait aux perceptions que les gouvernements se font du rôle que doivent jouer les investissements étrangers dans la croissance des économies nationales. Ainsi, comme le note Dunning (1994), est-on passé, en l'espace de quelques années, d'une attitude franchement hostile envers les FTN à une attitude on ne peut plus accueillante à leur endroit. Non seulement tout nouvel investissement étranger est-il désormais considéré comme une bonne nouvelle pour l'économie, mais également tout est fait au niveau des procédures, réglementations et conditions diverses pour leur faciliter l'entrée. Curieux retournement de situation donc, où l'on voit désormais les gouvernements "courir" après les investissements étrangers et déployer le tapis rouge devant les FTN.

Derrière ce changement, on relève une double préoccupation : tout d'abord, il y a l'idée d'améliorer, à travers l'investissement étranger, la compétitivité, la croissance et la performance générale de l'économie ; ensuite, il y a l'idée d'arrimer la croissance économique à celle des marchés internationaux, grâce aux exportations d'une part, grâce à une présence accrue des producteurs nationaux sur les marchés étrangers, d'autre part. Vecteurs de la globalisation, les FTN sont généralement perçues comme étant plus dynamiques, plus compétitives et plus innovatrices que les entreprises qui produisent sur le seul marché domestique. L'étendue et la profondeur de leurs réseaux seraient ainsi susceptibles de faire davantage participer l'économie nationale à la croissance de l'économie mondiale. Il s'agit donc tout autant de tirer parti de la présence des investissements étrangers sur le territoire national[59] que de soutenir ses propres investisseurs nationaux sur les marchés étrangers, soit, directement, à travers leur apport en capital, en technologie, en savoir-faire, en management, soit indirectement, à travers des gains en efficience ou à travers des avantages en termes de prix, de qualité ou de choix.

Le second fait notable, c'est que, en cherchant à rendre les économies nationales plus compétitives sur les marchés internationaux, les gouvernements sont devenus beaucoup plus sensibles aux effets de leurs politiques macro-économiques sur les stratégies corporatives en matière d'investissement sur place, de même qu'aux interactions multiples qui existent entre la performance des entreprises sur les marchés internationaux et le milieu dans lequel elles évoluent. La notion micro-économique de compétitivité soulève de multiples problèmes théoriques lorsqu'elle est étendue au cadre d'une nation[60]. Néanmoins, on reconnaît aujourd'hui que la compétitivité d'une entreprise dépend non seulement des ressources et du dynamisme qu'elle tire de sa propre organisation, mais également des économies externes qu'elle tire de son environnement. La prise en compte de la contrainte externe dans l'élaboration des politiques macro-économiques, ou des économies externes dans les politiques industrielles, n'est pas chose nouvelle en soi ; ce qui est nouveau, par contre, c'est le fait que, dans un contexte où les stratégies corporatives se trouvent à internaliser les différences nationales et que, par voie de conséquence, les espaces économiques nationaux se trouvent placés en rivalité les uns vis-à-vis des autres, la concurrence sur les marchés internationaux n'est plus simplement l'affaire des entreprises mais également celle des États[61]. Ces derniers par l'entremise de leurs politiques macro-économiques et de leurs politiques d'infrastructure, de main-d'oeuvre, de recherche, de fiscalité, voire leurs politiques sociales[62], se trouvent de ce fait à intervenir sur les marchés et à devenir eux-mêmes des acteurs de la globalisation.

Le troisième fait notable est d'ordre juridico-institutionnel. Il est indéniable que la prolifération des accords internationaux sur l'IDE, que ce soit sur une base bilatérale ou régionale, est un fait dominant de la scène économique internationale de ces dernières années[63]. Plus de la moitié de ces accords a été signée depuis 1990 et, dans la plupart des cas, il s'agit d'accords entre pays industrialisés et pays en développement, c'est-à-dire de pays où les réglementations nationales en la matière restent encore très restrictives. Il convient d'ailleurs d'établir un parallèle entre ce phénomène de la démultiplication des accords sur l'investissement d'un côté et la prolifération des accords économiques régionaux, accords qui se trouvent d'ailleurs eux-mêmes à englober des dispositions fort précises en matière d'investissement de l'autre[64]. Quoi qu'il en soit, si tous ces accords visent à sanctionner un cadre institutionnel à la fois plus sécuritaire, plus transparent, plus prévisible et plus propice à l'investissement international (Julius, 1994), et qu'ainsi, en s'enchevêtrant et en s'entrecroisant, ils établissent progressivement la trame d'un nouveau cadre normatif, force est de relever que, d'une façon générale, ces accords reflètent également les préoccupations stratégiques des États qui les signent. Dans ce sens, parler d'une "diplomatie de négociant" n'est pas un vain mot, tant les gouvernements se trouvent à appuyer ouvertement leurs entreprises "nationales" dans leurs démarches pour conquérir de nouveaux marchés, que ce soit par le commerce ou par l'implantation sur place. Entre temps, cet appui tend à prendre des formes fort contestables, du point de vue du droit de la concurrence, comme c'est le cas, par exemple, des ententes à l'exportation ou des fusions qui se trouvent de facto justifiées pour des raisons d'efficience et de compétitivité internationale[65].

C'est en effet un quatrième, et dernier fait notable, que de voir la globalisation produire sur la politique de la concurrence l'un de ses effets les plus paradoxaux, celui de la transformer en véritable politique industrielle stratégique[66].

Les politiques de la concurrence relèvent traditionnellement de la juridiction des États. Or, même si l'on s'accorde pour en reconnaître la nécessité, établir des règles pro-concurrentielles uniformes sur les marchés internationaux s'avère une tâche à peu près insurmontable à l'heure actuelle : d'un côté, les pratiques des entreprises sont devenues d'autant plus difficiles à réglementer qu'elles ont une dimension transfrontières qui tend à échapper au pouvoir de juridiction des États, tandis que, de l'autre, pour des raisons de compétitivité internationale, les gouvernements ont sensiblement assoupli leurs législations et adoptent une attitude beaucoup plus tolérante que ce n'était le cas jusqu'ici à l'endroit des fusions et des alliances stratégiques[67]. Cette tolérance est d'autant plus grande qu'il peut facilement être démontré que ces fusions et alliances sont un moyen pour les entreprises d'améliorer la productivité, la recherche et l'innovation, ainsi que l'accès aux marchés étrangers[68]. On infère parallèlement que la concurrence potentielle des entreprises étrangères exercera un contrepoids salutaire sur le marché interne. En fait, si, dans le premier cas, faute de disposer de toute l'information disponible, les tribunaux ne peuvent pas vraiment décider "objectivement" en matière de fusion, dans le second, ils sont plutôt portés à évaluer de manière fort pragmatique la notion de "rivalité suffisante" sur le marché[69]. Mais, en autant que le marché demeure potentiellement ouvert à la concurrence internationale et que les barrières institutionnelles à l'entrée soient levées, on préfère s'en tenir, faute de mieux, à la "règle de la raison" et au cas par cas, quitte à se rabattre, au niveau international, sur le vieux principe de courtoisie qui veut qu'un État s'abstienne volontairement d'agir lorsque ses interventions risquent de menacer les intérêts d'un autre État[70] !

En somme, et c'est ce que nous avons voulu souligner à partir de ces quelques observations, s'il existe effectivement un "consensus quasi-mondial" sur les principes de la politique en matière d'investissement, et par le fait même une forte incitation à doter l'économie mondiale d'un cadre normatif favorable à l'investissement, par contre, et c'est l'envers du décor, la compétitivité est devenue ce qu'un auteur a pu appeler une "obsession dangereuse"[71] (Krugman, 1994). En effet, cette préoccupation est à ce point présente dans les politiques publiques qu'on peut y voir la source de tensions et de dissensions entre des États qui sont ainsi sollicités pour jeter les bases d'un cadre normatif dont on attend non seulement qu'il "libère" l'investissement des contraintes nationales à sa circulation, mais également qu'il établisse les conditions d'une concurrence loyale, aussi bien de la part des entreprises que de la part des États eux-mêmes[72]. L'AMI représente à cet égard un intéressant "précipité" de contradictions puisque c'est au nom même de ce principe de "concurrence loyale" que les États s'apprêtent à réduire leur propre souveraineté sur l'investissement aux fins de favoriser l'intégration de l'économie nationale à la nouvelle économie mondiale.

De l'ouverture négociée des marchés à la transnationalisation des règles

Nous avons vu plus haut que, à l'intérieur du schéma général de la globalisation, ce qui change, ce n'est pas tant le fait que les entreprises transnationalisent de plus en plus leurs activités, sinon le fait que cette transnationalisation a des incidences profondes sur la manière dont sont intégrés les uns aux autres les différents espaces économiques nationaux et, par voie de conséquence, sur la manière dont sont articulés les espaces privé et public à l'intérieur des économies nationales. En retrouvant leur autonomie, les marchés ont remis en question l'étanchéité qui existait entre les niveaux national et international grâce à laquelle il avait été possible de séparer ou de dissocier les politiques économiques nationales des politiques économiques internationales. L'un des effets les plus révélateurs de cette remise en cause, c'est sans doute l'abandon des paramètres keynésiens de la part des États et la promotion de nouveaux paramètres centrés sur l'intégration compétitive des économies nationales à l'économie mondiale, avec le résultat que politique économique nationale et politique économique internationale ne feraient désormais plus qu'un (Cerny, 1997)[73] Interpellés par ces évolutions sur le plan interne, il était inévitable que les États le soient également sur le plan externe. Or, à ce niveau, ce qui est en train de changer, ce n'est pas tant le fait que, dans un contexte où les économies sont devenues plus ouvertes et plus interdépendantes, les États se trouvent en quelque sorte contraints de coopérer plus étroitement entre eux, sinon le fait que la globalisation produit des résultats inédits et imprévus sur les processus intégratifs eux-mêmes, résultats qui deviennent de moins en moins gérables à l'intérieur d'un cadre institutionnel qui avait été conçu initialement moins pour encadrer les marchés mondiaux, que pour favoriser l'ouverture et le développement. En ce sens, la coopération économique internationale actuelle ne s'oriente pas vers l'instauration d'un supranationalisme, comme cela avait été envisagé à l'intérieur du modèle centré sur l'État mis en place après la Deuxième Guerre, ou comme cela est sans doute envisageable dans le cas européen, mais plutôt vers l'instauration d'une transnationalisation des règles, c'est-à-dire vers l'émergence d'un droit économique qu'il appartiendra à chaque État de respecter et de faire respecter à l'intérieur du périmètre national.

Comme nous l'avons souligné en début de texte, il y a pas si longtemps encore, on estimait que la réglementation juridique des IDE relevait principalement, sinon exclusivement, du gouvernement du pays d'accueil. Comme le souligne Fatouros (1996, p. 49), les débats étaient alors orientés dans les trois directions suivantes : premièrement, dans quelle mesure le droit international imposait-il des limites aux pouvoirs que les États exerçaient sur des citoyens étrangers et des sociétés à capital étranger ? Deuxièmement, à quelles conditions l'État d'origine pouvait-il saisir les autorités internationales en cas de préjudice réel ou potentiel? Et, troisièmement, dans quelle mesure les différents régimes nationaux étaient-ils compatibles entre eux ?

La croissance rapide des IDE, les formes nouvelles que prend l'activité des FTN, les changements dans les attitudes à leur égard, de même que les révisions des politiques nationales en vigueur à l'égard des IDE, tous ces facteurs ont eu pour effet, précise encore Fatouros, de pousser juristes et responsables gouvernementaux à changer la problématique même du débat et à chercher non plus à définir les règles et des principes "justes" face aux défis à relever, mais plutôt à déterminer les politiques et les règles propres à promouvoir la circulation des capitaux et à assurer la meilleure protection possible à l'investisseur et à ses investissements. "Du fait de cette nouvelle approche, l'accent a été mis sur les accords internationaux en tant que principale source de réglementation pertinente" (Fatouros, 1996, p. 50).

Certes, il ne s'agit pas de mésestimer le fait que les États demeurent souverains ; cependant, il s'agit de prendre acte du fait que l'on assiste à un réaménagement majeur de la finalité de la négociation collective à l'échelon international. Il ne s'agit plus, comme c'était le cas auparavant, de partir du national et, par échange mutuel de concessions, de faire converger les normes nationales vers l'élaboration des normes communes, mais plutôt de mettre en place des dispositifs internationaux de réglementation qui, d'en haut, devraient venir encadrer trois types de rapports : tout d'abord, les rapports entre les États ; ensuite, les rapports entre les entreprises et les États ; et, enfin, les rapports entre les entreprises. En clair, c'est l'international qui descend dans l'arène nationale : "la coopération internationale pénètre désormais les frontières pour étendre son champ d'action aux politiques intérieures" (Ostry, 1991, p. 93)[74]. Ces réaménagements entraînent à leur tour trois conséquences : premièrement, les exigences du nouveau régime en matière d'investissement devraient s'imposer auprès des régimes privés et publics internes ; deuxièmement, les normes internationales issues de ce régime devraient se substituer aux normes nationales ; et troisièmement, les marchés devraient alors être soumis, non plus au droit national, comme ce fut jusqu'ici le cas, mais bel et bien à un droit transnational.

Tout ceci reste encore en émergence, et donc à définir, mais déjà, à travers de nouveaux accords internationaux, comme l'AMI, on voit apparaître quatre innovations significatives, à savoir : premièrement, un niveau de protection fort étendu de l'investisseur étranger et de son investissement qui limite considérablement le droit à l'expropriation ; deuxièmement, l'interdiction qui est faite aux États d'imposer aux investisseurs quelque obligation de résultat[75] ; troisièmement, la limitation du pouvoir d'intervention des États aux seuls domaines qui auront été expressément prévus par l'accord et inclus dans les réserves[76] ; et, enfin, quatrièmement, l'imposition, éventuellement et au pire, de mécanismes de règlement des différends dont les règles et les modes de fonctionnement échapperaient entièrement au droit national, ce qui instaurerait une insurmontable asymétrie entre les acteurs économiques et les autres acteurs sociaux.

Dans de telles conditions, il ne s'agit plus de faire converger les différents systèmes nationaux d'investissement vers un modèle universel, mais de définir, à un niveau multilatéral, un cadre normatif suffisamment contraignant pour qu'il puisse contrer les stratégies individuelles dites go it alone des États, suffisamment cohérent pour permettre son emboîtement dans les autres accords existants, à l'OMC ou ailleurs, et enfin, suffisamment large d'application pour pouvoir circonscrire les pratiques des entreprises qui sont susceptibles de fausser le fonctionnement "normal" du marché. Cela dit, l'établissement d'un tel cadre ne va pas sans poser un certain nombre de questions qui, pour le moment du moins, laissent perplexes.

Tout d'abord, autour de l'élaboration de ce cadre, gouvernements et entreprises semblent désormais s'entendre pour ne plus fonctionner qu'à deux, sans se sentir obligés d'impliquer la société civile, sinon à travers des mécanismes de consultation au demeurant fort peu démocratiques[77]. Ce déficit démocratique renvoie moins aux carences dans les mécanismes de la consultation, qu'à la légitimité de l'action de l'État et de gouvernements qui fonctionnent désormais sous l'égide d'un régime de démocratie d'exécutif[78], c'est-à-dire sous l'égide d'un régime politique qui est de moins en moins imputable devant ses propres citoyens et de plus en plus obsédé par la sanction de lois, de règlements et de normes qui répondent d'abord et avant tout aux besoins des marchés et aux desiderata des entreprises.

Ensuite, si la plus grande place est accordée aux entreprises dans l'élaboration et la mise en place des politiques intérieures, de même que dans l'établissement des cadres normatifs internationaux, les interactions qui existent entre elles et les gouvernements tendent à montrer qu'il s'avère extrêmement difficile de parvenir à réglementer les pratiques anti-concurrentielles et les effets qu'elles peuvent avoir sur les marchés du travail et sur le bien-être des populations. En attendant, cause ou effet, la globalisation s'accompagne d'un accroissement des inégalités dans la répartition des richesses, d'une insécurité économique croissante et d'exclusions sociales qui ont des effets délétères sur la cohésion même des sociétés et, par voie de conséquences, sur l'opinion publique elle-même. Face à tous ces défis et enjeux, la promulgation de codes de "bonne" conduite de la part des FTN constitue sans doute un pas dans la bonne direction, mais on peut se demander dans quelle mesure cela peut s'avérer suffisant dans un contexte où les pratiques des entreprises échappent de plus en plus à l'action des gouvernements d'une part, en même temps que ces mêmes gouvernements font preuve d'une complaisance certaine vis-à-vis des FTN, d'autre part [79]

Enfin, si les pays développés disposent à tout le moins d'un cadre socio-politique où les droits économiques et sociaux sont à tout le moins reconnus, quand ils ne sont pas sanctionnés, en revanche, dans les pays moins développés, les effets de ces réaménagements risquent de s'avérer plus déstabilisateurs et plus délétères encore à cause de l'importance même des FTN et de l'investissement étranger pour assurer leur développement : déstabilisateurs, à cause de la fragilité des démocraties, de la faiblesse de leur économie et de la précarité des droits économiques et sociaux ; délétères, à cause de l'alternative qui est posée aux pouvoirs publics de ces pays de devoir arbitrer entre la protection accordée à l'investisseur et la protection sociale de populations déjà fortement appauvries et précarisées.

Conclusion : l'AMI, un défi pour la théorie des relations internationales ?

Nous avons cherché à mettre en lumière quelques-unes des innovations qui appartiennent en propre à l'AMI. Il reste maintenant à voir en quoi et comment ce projet d'accord interpelle quelques grands courants de pensée en théorie des relations internationales. Il ne fait pas de doute à cet égard que l'AMI innove sur plusieurs points à la fois et que, ce faisant, il reflète la volonté de ses propagateurs et défenseurs de déborder des cadres normatifs institués d'un côté, volonté qui prend appui sur les limites inhérentes aux institutions existantes de l'autre.

En ce sens, de quelque manière qu'on l'interprète, l'AMI soulève un défi théorique majeur dans la mesure surtout où il met à mal ces courants en théorie des relations internationales qui s'obstinent à accorder une telle prééminence à l'État malgré les démentis successifs apportés depuis quelques décennies au moins par la transnationalisation des entreprises. Or, tant et aussi longtemps que les États coopéraient, avec plus ou moins d'empressement, à l'ouverture graduelle des marchés nationaux, on pouvait toujours croire et laisser croire qu'ils ne faisaient que donner suite à des engagements auxquels ils avaient eux-mêmes souscrits en vue d'étendre la libéralisation des échanges de biens et de services. En ce sens, les négociations confortaient cette idée chère aux approches issues du paradigme "réaliste" qui s'efforcent de lier économie et puissance d'un côté, politique et sécurité de l'autre.

Nous allons revenir rapidement sur les termes de ces débats avant de proposer quelques réflexions susceptibles d'ouvrir la voie à des interprétations plus heureuses de l'AMI.

Trois questions alimentent les débats en théorie des relations internationales depuis maintenant plus de trois décennies : pourquoi les États coopèrent-ils entre eux ? L'État est-il encore un acteur-clé du "système international" ? Quel est l'avenir des institutions internationales ? À ces trois questions, le paradigme dominant en relations internationales, le paradigme "réaliste" (ou "néo-réaliste" à la Waltz) n'est jamais parvenu à apporter de réponses satisfaisantes[80]. L'une des raisons principales tient dans son incapacité à voir le monde autrement qu'à travers les intérêts de puissance que poursuivent les États pour assurer leur propre sécurité. Si le contexte de la Guerre froide a pu faire un certain temps illusion, le paradigme réaliste ne peut plus aujourd'hui faire sens dans un monde où la transnationalisation des pratiques privées a des effets structurels majeurs tant sur la manière dont les espaces sociaux s'emboîtent les uns dans les autres, que sur la manière dont il s'agit désormais de définir la cadres normatifs à l'intérieur desquels se déploient ces pratiques.

Également issus du paradigme réaliste, trois autres courants de pensée se sont efforcés d'apporter des réponses nouvelles à ces questions[81] et si chacun d'eux a permis d'ouvrir des pistes de recherche intéressantes, aucun n'est parvenu à intégrer de manière satisfaisante dans ses analyses le champ de l'économie[82].

Voyons ceci plus en détail. Le premier de ces courants, le plus proche sans doute du paradigme réaliste, est celui de la "stabilité hégémonique". Le modèle, tel que l'a développé Gilpin en particulier, se définit comme "structuraliste", en ce sens où, abordant le problème depuis le "haut", c'est-à-dire à partir des États, il se propose de déterminer comment le système produit les structures qui seront suffisamment stables et suffisamment bien définies pour qu'à l'intérieur des paramètres établis les acteurs publics et privés puissent réaliser leurs objectifs. Reprenant en cela une idée développée par Olson, selon laquelle les acteurs, en l'absence de toute contrainte externe, sont portés à tricher, le modèle avance qu'il ne saurait y avoir de stabilité dans les relations internationales à moins qu'une puissance hégémonique n'assume le rôle de (grand) protecteur vis-à-vis des institutions internationales qu'elle aura contribuées à mettre en place[83]. L'origine, la force et l'avenir des institutions se trouvent donc à dépendre étroitement du statut particulier que la communauté internationale reconnaît à un acteur prééminent, au respect et à la crainte qu'il suscite chez les autres membres, et à sa capacité de maintenir son statut hégémonique, sur le plan militaire comme sur le plan économique.

Ce modèle a sans doute permis d'élargir le sens de la notion de sécurité de manière à y inclure, à côté de la puissance, la poursuite de la richesse. De même offre-t-il une explication attrayante du rôle joué pas les États-Unis dans la construction de l'ordre d'Après-Guerre et du statut exceptionnel qui continue de leur échoir. Mais, à moins de faire de la théorie une variante du mercantilisme, ce que Gilpin d'ailleurs rejette catégoriquement, la théorie de la stabilité hégémonique n'est jamais parvenue à être autre chose qu'une théorie ad hoc . En fait, le problème de la théorie n'est pas tant qu'elle reconnaisse le rôle dominant joué par certains pays, ce qui est somme toute banal, que le fait qu'elle ne s'interroge ni sur les origines de cette suprématie ni sur la capacité effective des États d'agir sur les structures économiques. Sur le fond, la théorie reste accrochée au concept de puissance, et l'économie, bien qu'elle soit reconnue en tant qu'espace distinct de celui des États, n'est généralement traitée que dans sa relation avec la puissance[84].

Dans le cas présent, il est clair que les États-Unis jouent un rôle majeur dans l'avancement des négociations en cours. Jamais leur politique économique internationale n'aura été, selon leurs propres termes, aussi "agressive", et jamais non plus les liens et les rapports avec les intérêts des FTN américaines n'auront été aussi étroits. Mais, une fois ceci constaté, comment expliquer le fait que l'administration présidentielle "pousse" avec autant de force un accord qui serait au bout du compte aussi compromettant pour les États-Unis que pour les autres pays[85] ? Comment présumer de la convergence entre leurs propres intérêts de grande puissance et ceux des entreprises américaines dont l'administration se fait le véhicule ? Comment pourra-t-elle concilier les objectifs qu'elle recherche à travers cet accord avec les revendications de la société civile américaine dont le Congrès se fait le porte-voix? À ces questions, la théorie ne peut apporter de réponses vraiment satisfaisantes.

Le second courant de pensée est le courant institutionnaliste de la théorie des régimes. Tout en reconnaissant également une certaine centralité analytique à l'État, ce courant délaisse à peu près totalement les problèmes de puissance pour se tourner vers un autre problème, celui de l'interdépendance, et à travers lui, vers les acteurs privés. L'idée de départ, c'est que le resserrement des liens et des échanges entre les acteurs privés, au niveau économique d'abord et avant tout, engendre une situation "d'interdépendance complexe", pour reprendre la formule de Keohane et Nye, au niveau des rapports interétatiques. Cette situation, à son tour, produit trois effets : le premier, de réduire la souveraineté des États, et, par le fait même, leur puissance ; le second, de les fragiliser et donc de les rendre plus vulnérables face aux chocs extérieurs ; le troisième, de jeter les bases d'une coopération qui trouvera réponse dans l'établissement de régimes internationaux.

Empruntée au domaine du droit, la notion de régime désignerait, pour reprendre la définition de Young, un ensemble, explicite ou implicite, de principes, de règles et d'institutions autour desquels s'établirait un certain consensus entre États dans un champ particulier des relations internationales. La question principale n'est donc plus de savoir pourquoi les États coopèrent mais dans quel cadre ils le font, et comment, pour à la fois réduire leur vulnérabilité externe et répondre aux exigences des acteurs privés. Ce modèle reste, quand même, centré sur l'État, et il attribue l'origine des régimes au pouvoir de persuasion d'une grande puissance. Mais, ceci étant dit, et sans reprendre la percutante critique adressée par S. Strange à la notion de régime en matière de relations internationales [86], à la différence de ce que laissait entrevoir le modèle idéaliste[87], l'analyse en termes de régimes semble impuissante à rendre compte de la transnationalisation des règles telle qu'on la voit se mettre en place avec l'AMI. En particulier, le problème actuel n'est pas simplement, comme nous l'avons dit, d'ajouter aux régimes existants un nouveau régime, comme on empilerait des assiettes les unes sur les autres, mais de jeter les bases d'un cadre normatif global qui serait à la fois aussi cohérent et aussi intégré que le sont actuellement les différents cadres normatifs qui régissent l'activité des entreprises à l'intérieur des frontières nationales, voire régionales.

Le dernier courant, c'est le "constructivisme" auquel on peut rattacher les noms de Wendt, Kratochwil, Ruggie, etc. Ce courant s'est efforcé de montrer comment les normes internationales intègrent les valeurs et les intérêts des acteurs qui, par négociateurs interposés, "construisent" ces institutions qui, en retour, influencent les comportements. Ce courant ouvre sans doute les perspectives les plus intéressantes sur le plan de l'analyse institutionnelle : d'une part, il soulève d'entrée de jeu le problème du recours aux normes, ce qui, par le fait même, permet de dépasser les intérêts immédiats des acteurs publics ; et, d'autre part, il propose une analyse plus dialectique des évolutions institutionnelles, en ce sens que les cadres juridiques ou institutionnels ne sont plus imposés depuis le haut, comme le veut la théorie de la stabilité hégémonique ni établis depuis le bas comme le sous-entend la théorie des régimes. Il faut alors penser en termes de mouvement de va et vient entre le cadre et les acteurs, entre les comportements et les normes. En un mot, la réalité est construite. La question demeure toutefois de savoir par qui, et sur quelles bases.

Si chacun de ces courants de pensée offre des perspectives d'analyse fort riches et si certains concepts comme ceux d'hégémonie, d'interdépendance ou d'intersubjectivité ont une portée analytique non négligeable, il n'en reste pas moins que ces démarches accordent une place éminente aux États. Or, non seulement l'État s'implique-t-il de plus en plus dans l'économie jusqu'à s'y encastrer, pour inverser la formule de Polanyi, mais surtout, l'État agit aussi comme vecteur du changement mondial, avec le résultat, premièrement, que l'économie passe progressivement à l'avant-scène en matière de sécurité ; deuxièmement, que les politiques publiques s'ajustent aux impératifs de la concurrence globale ; et troisièmement, que les stratégies corporatives deviennent la variable lourde de la mondialisation.

L'AMI apparaît alors comme le révélateur le plus significatif de ces tendances et évolutions. En effet, comme nous l'avons souligné plus tôt, l'accord engage à la fois une réduction consensuelle notable, de la part des États et gouvernements, d'une dimension jusque là importante, voire déterminante, de la gouverne politique. Ensuite, l'accord consacre l'émergence d'un nouvel acteur qui accède de plain-pied à l'ordre juridique international et qui pourra désormais, à ce titre, sommer directement une entité publique quelconque : gouvernement, pouvoir local ou compagnie publique. Enfin, l'accord opère rien moins qu'une permutation en vertu de laquelle des stratégies corporatives privées bénéficieraient désormais de toute la protection publique indispensable et nécessaire à la poursuite de leurs objectifs propres.

Il suffit de rappeler à quel point le contrôle public de l'investissement apparaissait encore déterminant aux yeux de Keynes pour mesurer toute la distance parcourue depuis un demi-siècle. Cette distance, ni l'approche "structuraliste", ni l'analyse en termes de régimes, ni non plus la démarche constructive ne sauraient l'expliquer pour la simple et bonne raison que l'intelligibilité du présent de l'économie mondiale passe d'abord et avant tout par la prise en compte des stratégies de des FTN d'une part, de leurs effets sur l'articulation des espaces économiques nationaux, d'autre part. Et cela, les approches "stato-centrées", autrement dit centrées sur le tout-à-l'État, ne peuvent même pas le voir, encore moins l'appréhender.

L'une des pistes théoriques les plus intéressantes à l'heure actuelle est peut-être encore celle qui a été ouverte par les constructivistes et par Kratochwil en particulier. Il est intéressant de rappeler à cet égard que, dans sa propre critique adressée à la notion de régime, Kratochwil (1989) met en évidence la faiblesse de l'interprétation du rôle joué par les normes dans le droit international. On se souviendra en effet que, sous prétexte que le droit international ne bénéficie pas du recours à la sanction au même titre que le droit domestique, on s'autorise de cette différence, en particulier, pour parler plutôt de soft law, c'est-à-dire d'un droit plus consensuel que normatif au sens strict. Dans ces conditions, l'attitude ou le comportement de l'acteur face à la norme devient tout à fait déterminante en ce sens que l'interprétation subjective de la norme l'emporte sur une interprétation objective portée par une instance judiciaire quelconque. Ce sont donc des relations de pouvoir, ou mieux de puissance , au sein de l'ordre international qui peuvent seules suppléer au manque d'objectivité. Dans ces conditions, la puissance hégémonique apparaît à la fois comme un fait et comme un stratagème qui permet d'imposer un sens "objectif" à la norme et ce, contrairement au droit domestique où la validité de la norme repose sur une objectivité intrinsèque qui est tout simplement liée au fait que sa sanction relève d'une instance "indépendante" des parties en présence, le pouvoir judiciaire. Or, et c'est tout l'intérêt de la réflexion de Kratochwil, si le recours aux normes porte en lui-même une finalité spécifique qui serait une capacité à résoudre des problèmes (The problem solving capacity of norms ) et non plus à soutenir ou conforter un ordre défaillant ou précaire, nous revenons par ce biais sur l'enjeu de la hiérarchie des normes, c'est-à-dire, en définitive, sur la question des droits et de leur hiérarchie.

Si nous cherchons maintenant à lier ces quelques réflexions à l'analyse que nous avons menée dans ces pages, nous voyons que l'AMI décréterait une nouvelle hiérarchie des droits et sanctionnerait à ce titre la transnationalisation d'un «nouveau» droit. En effet l'Accord vise rien moins qu'à imposer désormais la reconnaissance de l'investissement à l'instar d'un droit de propriété absolu, c'est-à-dire en tant que droit qui bénéficierait des plus grandes protections et prééminences devant tous les autres droits et devoirs de l'État. En ce sens, l'AMI annoncerait et préparerait rien moins que la privatisation d'un segment de l'ordre international lui-même, ce qui viendrait d'ailleurs confirmer le mécanisme de sanction auquel certains voudraient soumettre les normes de l'Accord quand ils proposent que les différends entre l'investisseur et les pouvoirs publics soient portés devant la Chambre de Commerce internationale.

Si telle devait être l'issue des négociations en cours au sein de l'OCDE, c'est rien moins que la ligne de partage entre espaces privé et public qui serait remise en cause dans ces tractations.

Ceci posé, et quitte maintenant à aller au-delà des conclusions provisoires tirées par Kratochwil, ce que nous voyons surgir à travers l'AMI c'est un phénomène ou un processus beaucoup plus fondamental au fond, soit celui de l'émergence des droits de propriété privée dans le domaine du droit public international. Car, à ce stade-ci de l'analyse et de la réflexion, c'est bien cette dimension de l'AMI qui apparaît la plus innovatrice, celle, en somme, qui conduirait l'accord à imposer désormais la reconnaissance et la protection des droits de propriété privée devant tous les autres droits collectifs ou sociaux, à tous les paliers de gouvernements.

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[1] Le G-7 a donné son appui au processus lors du Sommet de Halifax en juin 1995. Il faut noter que des travaux préparatoires avaient déjà été entrepris en 1991 par deux comités de l'OCDE : le Comité de l'investissement international et des entreprises multinationales (CIME) et le Comité des mouvements des capitaux et des transactions invisibles (CMIT). Le rapport conjoint a été présenté au Conseil de l'OCDE en mai 1995.

[2]. Les règles visent principalement l'expropriation, les privatisations, les monopoles et entreprises d'État, les incitations à l'investissement, ainsi que les obligations de résultats.

[3]. C'est l'une des dispositions qui a fait l'objet du plus grand nombre de critiques. Tout d'abord, parce qu'il n'y a pas de mécanisme ni de règles uniques en matière d'arbitrage ; ensuite, parce que dans le cas d'un différend entre un investisseur et un État, les parties peuvent demander recourir aussi bien à l'arbitrage du Centre pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) qu'à celui de la Chambre de commerce internationale (CCI), voire à tout autre institution appropriée ; enfin, parce que, pour la première fois, le pouvoir est accordé à un investisseur de poursuivre directement l'État ou le pouvoir public.

[4]. Les réserves apparaissent au chapitre IX du projet. Dans la dernière version, en date du 24 avril 1998, rien de très concret ni de très nouveau n'apparaît sinon que le terme "réserve" a été, d'un commun accord, remplacé par celui d'"exception". La liste des réserves du Canada a été présentée à l'OCDE en novembre 1997 dans un document intitulé : Canada: revised draft reservations. Les exceptions générales incluent tout ce qui est relatif à la sécurité nationale, au maintien de la paix internationale et à l'ordre public. Les dérogations temporaires sont autorisées lorsque les pays rencontrent des difficultés financières, de balance des paiements par exemple. Il faut noter que, faisant suite aux demandes du FMI, des mesures dites "prudentielles" sont aussi autorisées de façon à permettre aux pays d'assurer la stabilité à leur système financier.

[5]. On peut supposer qu'il en sera effectivement ainsi. On peut s'appuyer sur ce qui s'est passé dans le cas des normes prudentielles qui ont été adoptées en 1988 par la BRI. Le Canada, pour prendre le cas de ce pays, a appliqué très rapidement ces normes et aboli, en 1991, les contraintes en matière de réserves primaire et secondaire que la Banque du Canada imposait aux banques à charte canadienne. Ce qui est plus intéressant encore de relever c'est le fait que les assouplissements qui ont été apportés à la loi sur les banques en 1993, particulièrement en ce qui a trait aux conditions d'implantation des banques étrangères au Canada, ont été assorties de l'obligation selon laquelle ces dernières devaient avoir dans leur pays d'origine une réglementation consolidée et conforme aux normes réglementaires internationales, de la BRI en particulier. C'est donc dire que la portée des accords internationaux ne se limite pas aux seuls pays signataires.

[6]. Les négociateurs ont été submergés par les listes de réserves. Les réserves canadiennes concernent principalement le maintien des conditions d'examen des grandes fusions et acquisitions aux termes de la loi sur Investissement Canada, la protection de la culture et des industries culturelles, les restrictions sur la propriété étrangère dans certains secteurs comme le transport, les minéraux, les communications ou l'énergie, la préservation de l'intégrité du système de santé, les restrictions sur la propriété étrangère en cas de privation, le respect des exigences en matière d'emploi et de recherche dans le cas d'octroi d'aides à l'investissement, la recherche et développement, le respect des normes nationales en matière d'environnement, de travail, de santé et de sécurité, de zonage, de réserves naturelles, la protection des populations autochtones, etc..

[7]. L'AMI est sans doute le premier cas qui illustre le pouvoir nouveau de l'Internet. Une première synthèse des arguments invoqués contre le projet se retrouve dans l'ouvrage publié sous la direction de Andrew Jackson et Matthew Sanger (1998). Voir également CSEC (1997).

[8]. L'accord conclu à l'OMC sur les services financiers le 12 décembre 1997 n'a pratiquement suscité aucun débat dans l'opinion publique.

[9] La notion de double tension a été introduite par Putnam (1988). Voir aussi Milner (1997).

[10] . À la limite, on peut aller jusqu'à soutenir que l'AMI ne vise même plus à sanctionner des principes juridiques, puisqu'il place les pouvoirs publics devant une pure obligation de résultat en vertu de laquelle ceux-ci devraient prendre tous les moyens pour assurer la plus grande protection possible à l'investissement et à son investisseur. À cet égard, comme le note Fatouros (1996), le rôle des juristes aura été déterminant dans la mesure où ces derniers ont délaissé les débats théoriques sur les principes du droit pour se tourner vers la définition pragmatique des cadres qui autoriseront une plus grande circulation des capitaux.

[11]. Le nombre de FMN localisées dans les 14 pays les plus industrialisés est passé de 7 000 à la fin des années soixante à près de 26 000 au début des années 1990. Il est intéressant de rappeler également que Dunning (1983) estimait à 3500 environ le nombre de filiales dans le secteur manufacturier entre 1946-1961 (UNCTD, 1994). Sur les 280 000 filiales répertoriées par la CNUCED, 94 000 environ étaient localisées dans les pays développés et 130 000 dans les pays en développement.

[12]. Une bonne part des IDE est toutefois imputable au réinvestissement sur place des profits. Ainsi, au Canada, on estime à 50 % la part des profits qui sont réinvestis au pays par les entreprises étrangères. Autre constat : les entreprises étrangères procèdent davantage par acquisition et fusion que par création d'activité.

[13]. Il faut cependant noter la très forte croissance des investissements de portefeuille durant cette période.

[14]. Entre 1973 et 1995, les investissements directs ont été multipliées par 12, alors que les exportations mondiales l'ont été par 8,5.

[15]. Le ratio de la croissance du commerce à la croissance de la production a été, en moyenne, de 1,6 depuis la Guerre. Il a été de 1,4 entre 1950 et 1964, de 1,6 entre 1964 et 1976, de 1,2 entre 1974 et 1984, et d'environ 2,7 entre 1984 et 1994 (OMC, 1996)

[16]. Le commerce des marchandises représente environ 80 % du commerce mondial, celui des services 20 %. Le commerce des produits manufacturiers représente environ les trois quarts du commerce des marchandises.

[17]. On estime à plus de 46 % la part du commerce intra-firme dans les exportations canadiennes à destination des États-Unis, et à près de 50 % cette part dans le total des importations en provenance de ce pays. (Voir à ce sujet, Deblock et Brunelle (1997; 1998)

[18]. Ne désirant pas engager le débat sur les définitions, nous utiliserons alternativement dans le texte les deux expressions "firmes transnationales" et "firmes multinationales".

[19]. Le fait que la part du commerce intrafirme reste stable sur le long terme reflète l'effet de substitution des investissements au commerce, les entreprises ayant tendance à produire de plus en plus sur place. Sur ce point, la plupart des études tendent à montrer que s'il existe une corrélation entre la production sur place et la croissance du commerce international, cette corrélation n'est pas selon la CNUCED et l'OMC très significative, sauf dans le cas des pays en développement. Une étude récente de l'OCDE (1998) semblerait toutefois indiquer l'existence d'un lien beaucoup plus étroit entre l'investissement direct et le commerce international, chaque dollar d'investissement générant selon cette étude deux dollars d'exportation supplémentaire.

[20]. Au niveau de l'historique, voir notamment Maddison (1989), Panic (1988), Dunning (1993-a, 1993-b), Bairoch (1994,1997), Wilkins (1975), Michalet (1969, 1985). On retrouvera dans le World Investment Report de 1994 (chapitre 3) un excellent résumé historique de la transnationalisation des firmes et de la globalisation des marchés et de la production.

[21]. Appliquant le théorie du cycle de vie au phénomène, Hisrch (1967) et Vernon (1966, 1971) ont été les premiers auteurs à traiter de la multinationalisation des firmes dans une perspective qui se démarquait radicalement de la théorie classique du commerce international. Si leur théorie est aujourd'hui abandonnée, il n'en demeure pas moins que ces deux auteurs ont largement contribué à renouveler les débats théoriques et à faire de la firme multinationale un objet de recherche en soi en économie politique des relations internationales.

[22]. Les données sont pour 1995. Dans le cas du Canada, les chiffres seraient les suivants : les 5 plus grandes entreprises contrôleraient 22,6 % des investissements directs canadiens à l'étranger, les dix plus grandes 33,5 % et les cinquante plus grandes 64,4 %. D'un pays à l'autre les pourcentages peuvent varier assez fortement, néanmoins il ressort des données de la CNUCED que dans tous les pays le degré de concentration et de contrôle des investissements directs à l'étranger est extrêmement élevé. (World Investment Report, 1997, p. 34)

[23] Michalet fut sans doute l'un des premiers à avoir souligné l'importance de considérer la dynamique de l'économie mondiale dans cette perspective.

[24]. Les tendances observées dans les investissements directs étrangers vont en fait dans le même sens que celles que l'on a pu observer dans les échanges commerciaux, du moins jusqu'aux années 1980. Le phénomène doit être mis en relation avec la marginalisation croissante des pays en développement dans l'économie mondiale tout au long de cette période qui va de la Guerre à la crise de la dette dans les années 1980, mais aussi et surtout avec les transformations induites par la libéralisation des échanges tant dans l'organisation de la production à l'échelle mondiale que dans les rapports entre les pays qui se sont engagés dans cette voie.

[25]. Pour des raisons d'ordre méthodologique, particulièrement dans le cas des pays en développement, les données de ce tableau, comme celles des autres tableaux d'ailleurs, doivent être interprétées avec prudence.

[26] En fait ce qui apparaît de plus en plus c'est une division du monde en trois catégories de pays : ceux qui sont au coeur de la globalisation, la poussent et en tirent maints avantages; ceux qui suivent le mouvement et tendent à réagir tant bien que mal à ses tendances et effets; et ceux qui restent en marge des processus intégratifs, en sont exclus et/ou en subissent surtout les effets négatifs.

[27] La notion de globalisation prend des sens multiples comme l'ont montré Streeten (1994) et Boyer (1997). Elle prend des sens différents selon que nous sommes renvoyés aux entreprises ou aux espaces nationaux. Dans le premier sens du terme, la globalisation s'inscrit dans la dynamique de l'internationalisation de la production, dont elle constitue une nouvelle phase. Le secteur de la globalisation, ici, ce sont les FTN, des firmes qui, par leurs réseaux, font du monde leur espace de rationalité. Dans le second sens du terme, la notion de globalisation renvoie à la question plus litigieuse de l'interpénétration croissante des sociétés. Dans les deux cas, on doit parler de processus tendanciel; le phénomène est net et irréversible, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il soit unilinéaire, ni que pour autant le monde évolue vers un modèle unique de production ou vers un nouvel universalisme (Deblock, 1997).

[28] Pour la critique de cette conception, au niveau économique, voir Berger et Dore (1996), et en particulier le texte de Boyer et celui de Wade.

[29] Comme le note Harris (1994), la conséquence politique la plus directe de la globalisation est sans doute l'incapacité de délimiter les champ d'application des politiques nationales, en raison de leurs incidences sur les stratégies corporatives d'une part, des interactions entre les politiques nationales d'autre part. L'internationalisation par les FTN des différences nationales montre également que l'économie nationale reste un objet d'analyse pertinent pour la compréhension de la globalisation. Après tout, les FTN ne fonctionnent pas dans le vide : elles ont une assise nationale, et leur espace d'opérationalisation couvre des espaces économiques nationaux qui, par leurs institutions, leurs structures économiques, leurs fondations, etc., n'ont rien d'artificiel.

[30] Beaucoup d'auteurs continuent d'associer la globalisation à la circulation des marchandises et des capitaux. L'augmentation de flux, combinée au développement et à la diffusion rapides des technologies, auraient pour effet d'entraîner l'intégration et l'interdépendance croissante des économies nationales. Cette approche reste traditionnelle et liée à la théorie classique des avantages comparatifs. Plutôt que de mettre l'accent sur la nation (définie en termes de "dotation " des facteurs de production), les analyses retenues ici mettent l'emphase sur l'organisation de la production en réseaux et en chaînes de valeur. L'approche pour l'interdépendance montre ses limites dans la désynchronisation des conjonctures observées ces dernières années d'une part, dans l'exclusion d'un nombre important de pays au sens de l'économie mondiale d'autre part. Une bonne discussion de la globalisation est faite par Streeten (1994). Voir également la définition du concept de "système industriel mondial" que propose Marc Humbert (1990).

[31]. La notion de firme globale, dans le sens où l'entend Levitt (1983), n'est pas nouvelle. Déjà dans les années 1980, des auteurs comme Dunning ou Michalet soulignaient cette nouvelle tendance. Toutefois, jusqu'aux années 1980, le phénomène semblait encore limité. La plupart des travaux portaient surtout à l'époque sur les raisons qui pouvaient pousser les entreprises à internationaliser leurs activités ainsi que sur la comparaison des formes que pouvait prendre cette internationalisation (exportations, investissements directs, sous-traitance, octroi de licences, alliances, etc.), de même que sur les liens existant entre l'internationalisation de la production et celle des institutions financières. Quant à la nature des rapports qui pouvaient exister entre les filiales et leur société-mère, les travaux en arrivaient rapidement à deux conclusions. Premièrement qu'il existait surtout deux types de filiales : les filiales ateliers, essentiellement centrées sur l'exploitation d'un avantage comparatif particulier (main-d'oeuvre, matière premières, produits intermédiaires, etc.) et les filiales-relais, pour reprendre la terminologie de Michalet, véritables répliques en miniature de la société-mère et dont l'objet était, par l'implantation sur place, de pénétrer un marché et de contourner ainsi les multiples obstacles à l'exportation directe . Et deuxièmement que si l'on pouvait déceler une tendance forte en faveur d'une gestion intégrée de la production à l'échelle mondiale à l'intérieur des FTN, cette tendance se heurtait encore à la très forte segmentation des marchés. L'article de Levitt est sans doute le premier à avoir insisté avec autant d'emphase sur cette nouvelle réalité, à savoir que l'on était en train d'assister à l'émergence de véritables marchés mondiaux pour des biens de consommation uniformisés, eux-mêmes produits selon des techniques de production de plus en plus uniformisées, et que les entreprises devaient en conséquence s'y adapter pour survivre.

[32] Comme le note fort justement Allais (1997), les débats actuels sur la globalisation ont le mérite de nous rappeler que le monde de l'entreprise et celui des États-nation obéissent à des ordres de rationalité différentes, antagoniques l'un à l'autre tout en étant indissociables l'un à l'autre. Stopford, Strange et Henley (1991) vont toutefois beaucoup plus loin : ce que ces débats nous montrent, notent-ils, c'est que les États ne rivalisent plus entre eux pour "produire de la puissance" mais pour créer de la richesse. Le nouveau paradigme de la sécurité passe désormais par l'économie et par la capacité des États à maîtriser le nouveau jeu de la négociation triangulaire : de gouvernement à gouvernement, gouvernement à compagnie, et de compagnie à compagnie. Et si les règles du jeu sont les mêmes pour tous, cette capacité, elle, est loin d'être égale pour tous les États.

[33]. Nous nous référons ici au concept de two-level game introduit par Putnam (1988).

[34]. Sur ces interactions nouvelles, voir en particulier Stopford, Strange et Henley (1991), Cerny (1997), Wade (1997), et Sachwald (1994).

[35]. La notion de marché "contestable" a été introduite par Baumol (1982). Voir également Tirole (1990). Cette notion guide actuellement la conduite des politiques de la concurrence dans la plupart des pays industrialisés. Elle sert également de support théorique aux discussions sur l'élaboration de codes de la concurrence à l'OCDE , mais aussi à l'OMC depuis que les pays membres se sont entendus lors de la rencontre ministérielle de Singapour en décembre 1996 pour mettre sur pied un groupe de travail sur les interactions entre le commerce et la politique de la concurrence. Un marché est dit contestable lorsqu'il n'y a pas de barrière juridique à l'entrée ou à la sortie, lorsque les entreprises ont accès aux mêmes technologies et lorsque l'information est disponible et transparente.

[36]. Sur ce débat, voir en particulier Lipschutz (1992), Marden (1997), Cable (1994). Pour une anlyse plus critique, voir Arnaud (1998) et Lévy (1997).

[37]. Un argument généralement invoqué à l'appui de cette thèse est que les décisions politiques sont prises par arbitrage entre les demandes des acteurs socio-économiques. Une politique pro-libre-échangiste sera ainsi adoptée d'autant plus facilement que les acteurs économiques qui profitent de la globalisation sont plus nombreux, les pressions en provenance de ces derniers l'emportant sur celles en provenance de ceux qui se trouvent à en pâtir. Voir à ce sujet le livre de Keohane et Milner (1996). Pour une critique des thèses de la convergence, voir notamment le collectif piloté par Berger et Dore (1997)

[38]. Cela sous-entend toutefois trois choses : premièrement, que soit consacrée par la règle de droit le principe selon lequel les acteurs privés doivent pouvoir opérer en toute liberté ; deuxièmement, que soient mis en place des mécanismes institutionnels de contrôle et de régulation qui doivent prévenir, empêcher et éliminer tout comportement abusif, prédateur ou discriminant de la part des acteurs privés qui viendrait interférer d'une manière ou d'une autre dans le fonctionnement normal du marché ; et troisièmement, que toute forme d'intervention de l'État sur les marchés soit elle-même prohibée, sinon que pour faire respecter les conditions de la concurrence. Pour une analyse des débats sur la concurrence, voir Bianchi (1991-92), et Jacquemin (1989).

[39]. On ne peut s'empêcher d'ailleurs de rappeler à quel point le constat suivant que dressait Keynes dans les Notes finales de la Théorie générale sont toujours on ne peut plus d'actualité : "les deux vices marquants du monde économique où nous vivons sont le premier que le plein-emploi n'y est pas assuré. le second que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d'équité"

[40] Comme nous le dit le juriste Pellet, "la souveraineté est à la fois le critère, le signe et la condition de leur existence. À l'intérieur ce pouvoir est absolu, à l'extérieur il se neutralise ; les prétentions des États à l'égalité juridique limitent les compétences internationales, limitation dont le droit est, précisément, le garant et le signe" (Pellet, 1997, p. 97).

[41]. Ce constat est dressé par de nombreux auteurs dans la littérature spécialisée. Comme l'écrivaient déjà Cowhey et Aronson en 1993, c'est le principe même du multilatéralisme, de même que celui de séparation entre le marché national et le marché international, les deux principes sur lesquels a été construit l'ordre d'après-guerre, qui se trouvent à être directement remis en question, (Cowhey et Aronson, 1993)

[42] Voir à ce sujet Brunelle (1997) et Deblock (1997).

[43]. La Charte de la Havane comportait plusieurs dispositions concernant l'investissement étranger, notamment dans le chapitre 3 traitant du développement économique et de la reconstruction. On retrouve en effet dans ce chapitre plusieurs dispositions concernant l'admission et le traitement de l'investissement, à l'article 12 et à l'article 15 plus précisément. Il ne faut cependant pas perdre de vue que ce chapitre a d'abord et avant tout été rédigé pour tenir compte des demandes des pays en développement et des pays européens. Aussi les dispositions que l'on y trouve visent moins à protéger l'investissement et l'investisseur qu'à autoriser les États membres à prendre les mesures appropriées pour assurer que les investissements étrangers ne soient pas la cause d'une ingérence dans leurs affaires intérieures ou dans leur politique nationale et pour que, sans que ceux-ci ne fassent l'objet d'une quelconque forme de discrimination de leur part, les investissements étrangers répondent avant tout aux besoins du pays en matière de développement. Il ne faut donc pas se méprendre sur le sens de ces dispositions, ce que fait l'OMC dans le rapport qu'elle consacre à cette question dans son rapport de 1996.

[44]. Sur cette question, voir notamment Meltzer (1981) et Crotty (1983)

[45]. La plupart des accords économiques régionaux contiennent des dispositions relatives à la circulation des capitaux et à la liberté d'établissement. Toutefois, dans la plupart des cas, à l'exception notable de la CEE, ou les dispositions prévues à cet effet n'ont guère été appliquées dans les faits, ou lorsqu'elles l'ont été, elles se sont trouvées assorties de nombreuses clauses de réserve. D'une façon générale, à l'exception notable encore une fois de la CEE, la plupart des accords ne contenaient guère de dispositions relatives à la protection des investissements ni de mécanismes spécifiques de règlement des différends. Aujourd'hui, si l'Union européenne possède le régime sans doute le plus complet qu'il soit en la matière, un autre grand accord économique, l'ALENA, contient des dispositions complètes. Les dispositions relatives aux investissements contenues dans cet accord servent de modèle de référence dans les négociations de l'AMI. Il s'agirait, pour les États-Unis et le Canada, de procéder par étapes successives comme ces deux pays l'avaient fait en passant de l'ALE à l'ALENA. Ainsi devrait-on passer de l'ALENA à l'AMI, et de l'AMI à un accord à l'OMC.

[46]. Il faut aussi ajouter à ces deux conventions les Principes directeurs pour le traitement de l'investissement direct étranger que la Banque s'est donnés en 1992, et qui ont eu aussi un caractère contraignant.

[47]. Ce contrôle passera par de multiples voies. On peut en identifier au moins cinq : un renforcement du contrôle national et limitation de la participation étrangère au capital dans les secteurs considérés comme prioritaires ou vitaux d'un point de vue économique, culturel ou stratégique ; la création de sociétés d'État, voire la nationalisation, soit dans les secteurs jugés prioritaires soit dans ceux où le marché semblait défaillant ; l'imposition de réglementations et de restrictions sectorielles l'imposition de certaines exigences de résultats aux entreprises et aux investisseurs étrangers (achat, production et investissement sur place) ; et d'une manière générale, un contrôle direct ou indirect que ce soit sur les entrées de capitaux (fusions-absorptions, implantation et-ou localisation des nouveaux investissements) ou sur les sorties au titre des rapatriements des fonds ou des profits.

[48]. Sur le cas des pays en développement, voir Haggard (1990), et Haggard et Kaufman (1992)

[49]. L'expression même de transnationales, bien que plus récente que celle de multinationales, évoque l'idée de transgression, de transterritorialité, et donc de menace à la souveraineté.

[50]. L'expression de Nouvel ordre économique international remonte aux années soixante-dix. On en retrouve déjà l'origine dans un document du FAO de 1964. Ce sont toutefois la Déclaration et le Programme d'action concernant l'instauration d'un nouvel ordre économique international qui en consacreront l'usage. Dans la Déclaration, les pays membres des Nations Unies faisaient état de "leur détermination à travailler d'urgence à l'instauration d'un Nouvel ordre économique international fondé sur l'équité, l'égalité souveraine, l'interdépendance, l'intérêt commun et la coopération entre tous les États, indépendamment de leur système économique et social, qui corrigera les inégalités et rectifiera les injustices actuelles, permettra d'éliminer le fossé croissant entre les pays développés et les pays en voie de développement et assurera dans la paix et la justice aux générations présentes et futures un développement économique et social qui ira en s'accélérant, (...)" (Stern, 1983, p. 3). La Déclaration énonçait vingt principes et était assortie d'un Programme d'action en dix points qui devait être mis en oeuvre sur la base des principes de la dignité et de la souveraineté souveraine. Les dix points en questions concernaient (1) les problèmes fondamentaux posés par les matières premières et les produits primaires dans le cadre du commerce et du développement (2) le système monétaire international et le financement du développement des pays en voie de développement ; (3) l'industrialisation ; (4) le transfert des techniques ; (5) la réglementation et contrôle des activités des sociétés transnationales ; (6) la charte des droits et devoirs économiques des États ; (7) la promotion de la coopération entre pays en voie de développement ; (8) L'aide à l'exercice de la souveraineté permanente des États sur les ressources naturelles : (9) le renforcement du rôle des organismes des Nations Unies dans le domaine de la coopération économique internationale ; (10) la mise en place d'un programme spécial pour atténuer les difficultés des pays en voie de développement les plus gravement touchés par la crise économique. Notons que les deux Résolutions furent adoptées par consensus, mais un certain nombre de réserves furent formulées. On les retrouve reproduites dans Stern (1983)

[51]. À l'initiative de la France, se tiendra à Paris, du 30 mai au 2 juin 1977, une conférence sur la Coopération Économique Internationale qui devait tenter de rapprocher le Nord du Sud. Il faut se rappeler toutefois que c'est aussi durant cette période, marquée également par la crise pétrolière, que se tiendra à Rambouillet, en novembre 1995, le premier Sommet économique des cinq pays les plus industrialisés, ce qui deviendra plus tard le G-5. La Conférence de Paris ne déboucha sur rien de très concret.

[52]. Sur les débats, voir Stern (1983).

[53]. Les négociations en vue d'établir un code international de conduite pour le transfert de technologie n'aboutiront par contre pas.

[54]. La remarque ne s'applique pas seulement à la politique commerciale mais à l'ensemble des politiques économiques. Williamson parle à ce propos du Consensus de Washington, une formule désormais consacrée par la littérature spécialisée. Ceci bien entendu reste un point de vue, au demeurant fort critiqué. Dani Rodrik (1997) est sans doute l'un des auteurs les plus critiquées à l'heure actuelle de ce soi-disant consensus.

[55]. La notion de politique commerciale est prise aujourd'hui dans un sens de plus en plus large, de manière à couvrir l'ensemble des domaines qui touchent de près ou de loin les relations économiques internationales. L'expression "politique économique internationale" serait à notre avis plus appropriée.

[56]. C'est ce que Baldwin (1997), appliquant le raisonnement au cas du régionalisme, appelle l'effet de domino. Dans le cas présent, il s'agit soit d'éviter d'être pris de court par les mesures de libéralisation que d'autres adoptent soit, et plus stratégiquement, de profiter de l'avantage d'être les premiers. Le résultat en est que le processus de libéralisation des échanges s'en trouve accéléré.

[57]. Voir à ce sujet l'excellent ouvrage de Douglas A. Irwin (1996).

[58]. C'est volontairement que nous préférons parler de concurrence systémique, et non pas, comme en a proposé l'expression Sylvia Ostry (1991, 1992), de "frictions systémiques". Pour les partisans de la thèse de la convergence, l'émergence d'une société civile mondiale s'inscrirait dans la dynamique même de la globalisation, une dynamique qui s'inscrit elle-même, dans la mouvance d'une intégration et d'une interpénétration toujours croissantes des espaces sociaux. Cette tendance serait d'autant plus forte que, d'une part, les communications, les technologies et les marchés réduisent les distances et les différences qui séparent et distinguent les sociétés, et que les institutions civiles elles-mêmes évoluent vers un modèle universel fondé sur la démocratie, la reconnaissance des droits de la personne, et le marché concurrentiel. Vu sous cet angle, les problèmes que soulève la coexistence encore difficile des espaces nationaux au sein d'une économie mondiale de plus en plus homogène deviennent effectivement de simples problèmes de friction, autrement dit des problèmes qui trouveront d'autant plus rapidement une solution que les lois économiques seront mieux comprises tant de la part des populations concernées et que de la part des gouvernements eux-mêmes.

[59]. Il peut s'agir d'incitations financières comme des primes ou des crédits bonifiés, d'incitations fiscales comme des exemptions d'impôts ou de droits d'importations, d'incitations foncières comme l'octroi de terrains ou de réductions de loyers, ou encore d'investissements sur le plan des infrastructures. Sur les coûts de cette concurrence entre les États, voir Low (1995). Comme l'écrit l'OMC dans son rapport de 1997, "se laisser entraîner dans une compétition pour attirer in projet d'IED équivaut à envoyer des fonctionnaires à une vente aux enchères pour faire des offres sur un bien dont la valeur réelle est en grande partie un mystère pour le pays" (OMC, 1997, p. 71)

[60] Voir à ce sujet Rapkin et Strand (1995).

[61]. Le Québec, par exemple, s'est récemment donné comme objectif de se classer, d'ici 2006-2010, parmi les dix économies les plus compétitives au monde. La grille de référence est celle du World Competitiveness Report de 1997, grille qui, on le sait, repose sur une analyse multicritère de la compétitivité. (Québec, 1998)

[62] La question d'inclure des clauses sociales (et environnementales) aux accords commerciaux est l'une des questions les plus controversées de ces dernières années. Si la plupart des pays s'entendent sur le fait que les pays ne doivent pas "appâter l'investissement par un relâchement des normes", l'inclusion de clauses spécifiques sur l'environnement et le travail se heurte à de multiples oppositions. Pour les uns, l'inclusion de telles clauses entraînerait une hausse des coûts de production, ce qui diminuerait d'autant leur avantage concurrentiel lorsque ceux-ci reposent sur les bas coûts de la main-d'oeuvre ; pour d'autres, les motivations de leur défenseur le plus acharné, les États-Unis, sont loin d'être désintéressées, surtout s'il s'agit à travers elles de remettre en question les acquis sociaux de l'État-providence ; pour d'autres encore, toute inclusion de clauses à des accords commerciaux constitue une inférence dans le fonctionnement des marchés et une entrave à la liberté de choix des entreprises. Sur ces débats, voir Benessaieh (1998)

[63]. On dénombre selon la CNUCED plus de 1200 accords bilatéraux. L'OCDE en dénombrait de son côté 1630 en mai 1997. Le Canada a lui seul en a signé 24 depuis 1989, dont huit en 1997. Selon l'Economic Report de 1998, les États-Unis en auraient signé 40!

[64] Cette question est abordée, dans le cas nord-américain, par Lorraine Eden (1996). Dans son étude, l'auteure montre en quoi les dispositions relatives à l'Investissement contenue dans l'ALENA s'inscrivent dans un processus qui visent à établir un régime sur l'investissement qui corresponde aux réalités nouvelles de l'intégration "en profondeur". Elle montre aussi en quoi ces dispositions, bien qu'encore imparfaites, peuvent servir de cadre de référence à l'implantation d'un régime analogue au niveau multilatéral. Voir également Lawrence (1996).

[65]. Ainsi au Canada, la création récente d'Équipe Canada inc vise à améliorer ce que le ministère des Affaires extérieures et du Commerce international (MAECI)appelle "la gestion horizontale au moyen d'un plan d'affaires intégré unique et de rencontres périodiques regroupant les trois principaux ministères concernés par la promotion du commerce international, soit le MAECI , Industrie Canada, et Agriculture et Agro-alimentaire Canada" (Canada, MAECI, 1998). Il n'est pas inintéressant non plus de relever que le Québec lui-même n'est pas resté passif en la matière. Ainsi, à l'occasion de la présentation du budget en mars 1998, le Vice-Premier ministre et ministre d'État de l'économie et des Finances, Bernard Landry, a-t-il annoncé la création et la mise en place sous sa responsabilité directe d'une nouvelle société d'état Investissement Québec dont le mandat sera, comme celui d'Investissement Canada qui sert ici de modèle, d'attirer les grands projets d'investissement au Québec, d'offrir des services intégrés aux investisseurs, de promouvoir le Québec à l'étranger et d'assumer un rôle de coordination des actions gouvernementales en matière d'accueil et de soutien au financement de projets d'investissement majeurs (Québec, 1998).

[66]. Voir à ce sujet le dossier spécial que consacre l'OMC au commerce et à la politique de la concurrence dans son rapport de 1997.

[67]. La loi canadienne sur la concurrence, qui a été modifiée en 1986 (Loi C-91), est à cet égard fort significative de ce changement d'approche puisqu'elle ne place plus désormais l'intérêt du consommateur qu'au quatrième rang des objectifs poursuivis, qui sont dans l'ordre : 1. stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie ; 2. améliorer les chances de participation canadienne aux marché mondiaux, tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada ; 3. assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne ; et 4. assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans ses produits. Les changements apportés à la loi traduisent le fait qu'il s'agit dorénavant, d'une part, d'aller dans le sens d'un modèle économique orienté sur la croissance des exportations et sur la présence des entreprises canadiennes sur les marchés internationaux et, d'autre part, d'élargir l'espace de liberté des entreprises, sans que ceci ne porte préjudice et aux partenaires commerciaux du canada et aux consommateurs canadiens.

[68]. Un argument souvent avancé pour justifier une intervention "prudente" dirait Krugman de la part des pouvoirs publics a trait aux rentes qui découlent des rendements d'échelle croissants. Cet argument a été développé par Brander et Spencer. Les spécialisations internationales ne reposent plus tant sur les avantages comparatifs que sur la capacité des pays de tirer avantage des effets dynamiques, sur le plan des rendements d'échelle et de la différentiation des produits notamment, que permet l'accès à des marchés plus larges. Les pouvoirs publics sont amenés à intervenir pour aider les producteurs nationaux à se développer et atteindre les tailles d'efficacité qui leur permettront de capter les rentes de situation que procurent aux entreprises déjà établies les rendements croissants. Voir à ce sujet Irwin (1997).

[69]. La politique de la concurrence est un bon exemple d'application du dilemme du prisonnier. Voir à ce sujet Hoeckman (1997).

[70]. On ne peut s'empêcher de citer ici deux extraits du rapport de l'OMC, tant il est instructif de l'écart qui peut séparer la théorie des faits : "Il n'existe pas de modèle global de la concurrence imparfaite qui puisse guider dans tous les cas l'action des responsables de la concurrence....L'analyse doit tenir compte à la fois des concurrents potentiels et des concurrents effectifs, des gains d'efficience qui peuvent découler des pratiques commerciales restrictives, des conséquences des décaissons en matière de concurrence sur la croissance économique, etc.. Et si certains types de comportements anticoncurrentiels flagrants comme la fixation des prix et la segmentation horizontale des marchés, devraient selon la plupart des observateurs être interdits en soi, un grand nombre de décision doivent se fonder sur la règle de la raison." (OMC, 1997, p. 56). "Le risque de décisions préjudiciables au bien-être des partenaires commerciaux est particulièrement grand dans le cas d'une approche fondée sur le bien-être national total, selon laquelle l'efficience des producteurs nationaux compense les coûts pour les consommateurs. Mais, même lorsque le bien-être des consommateurs est un facteur prédominant, il peut y avoir divergence entre les effets sur le bien-être national et les effets sur le bien-être à l'étranger, l'exemple le plus frappant à cet égard étant les ententes à l'exportation." (OMC, 1997, p. 37)

[71] Lui-même partisan il y a quelques années d'un certain "interventionnisme prudent", Krugman préfère aujourd'hui s'en tenir au libre-échange, une option de "second rang" qu'il considère néanmoins comme préférable à un interventionnisme dont les rasions et les effets sont toujours douteux.

[72]. Un exemple nous est donné par la position officielle du Canada aux négociations. Elle s'inscrit à l'intérieur de trois grands paramètres, que nous pouvons résumer comme-ci. Tout d'abord, s'il a toujours été une terre d'accueil en matière d'investissements étrangers et que ces derniers ont traditionnellement joué un rôle important dans le développement du pays, le Canada est cependant affecté par deux nouvelles tendances : avec la libéralisation généralisée et la globalisation concomitante des entreprises, le Canada a vu sa part reculer dans les investissements internationaux ; d'un autre côté, si le Canada dispose de nombreux avantages comparatifs, il est aussi confronté à la concurrence très vive des pays pour attirer les investissements. Le second paramètre, c'est la croissance très forte des investissements canadiens à l'étranger ; la sécurité d'accès et l'établissement de règles en matière de différends sont devenues des questions prioritaires. Enfin, petit pays, le Canada entend défendre la souveraineté : les règles nationales doivent pouvoir s'appliquer, et ce sans que cela entraîne des formes de concurrence indirecte (abaissement des normes) ; il doit disposer aussi des clauses d'exception pour mener les politiques nationales dans les domaines sensibles comme la culture, les secteurs des transports, des minéraux, du pétrole, la santé, etc. (Source, MAECI).

[73] Cerny utilise le concept d'"État compétitif" (Competition State). Voir à ce sujet Cerny (1990, 1994).

[74] Voir également l'excellent article critique de Ruggie (1994). Sur la question du droit international privé et la critique de la pensée libérale, voir Cutler (1995).

[75]. Cette partie de l'accord est, comme dans l'ALENA, fort détaillée. Un pays ne pourra ni imposer, ni appliquer, ni maintenir des obligations en matière d'exportation ou d'importation, de contenu local, d'achat de produits ou services, de vente de produits ou service, de transfert de technologie, de localisation du siège social, de production exclusive, de recherche-développement, de recrutement de personnel, de coparticipation ou de copropriété, de réinvestissement des profits, de distribution des dividendes, ou encore de participation aux postes de direction.

[76]. C'est l'approche dite "positive" ou encore "par le haut", approche en vertu de laquelle les dispositions de l'accord doivent s'appliquer à tous les domaines de l'économie à l'exclusion de ceux qui sont d'une manière ou d'une autre couverts par les réserves, toute mesure non conforme et ne faisant pas partie des réserves ne pouvant être maintenue.

[77]. Il et à cet égard étonnant de constater que, s'il existe un Comité syndical consultatif auprès de l'OCDE, non seulement est-il à peu près nullement tenu compte des demandes syndicales, mais également que toutes les questions relatives au travail sont systématiquement renvoyées à l'OIT, comme s'il était possible au niveau mondial de tracer une ligne de séparation entre ce qui doit exclusivement relever de l'économie et le reste.

[78] Voir à ce sujet les remarques fort pertinentes de Keohane (1998) ou encore nos propres travaux sur le régionalisme dans les Amériques.

[79] Pour Robert Reich (1998), l'État reste un acteur significatif et crucial de toute société démocratique, et un médiateur central de la cohésion économique et sociale des sociétés, du "compact social" comme il l'appelle. Mais on peut se demander si, en s'engageant comme ils le font dans un processus de redéfinition d'une telle ampleur des cadres normatifs, pour les adapter aux réalités nouvelles de la globalisation, les États ne se trouvent pas par le fait même à réduire leur pouvoir d'intervention, ce qui en un sens permet sans doute de circonscrire certains des effets que peut avoir cette globalisation en termes de rivalité systémique, mais aussi ce qui laisse sans réponse la question, qui avait trouvé jusqu'ici sa réponse dans l'État-providence, de savoir qui va garantir le bien-être des populations, sinon le marché lui-même ? Et c'est peut-être là que se situe le plus grand défi à la démocratie : qui va représenter l'intérêt public au niveau mondial ?

[80]. Le réalisme, en relations internationales, repose sur cinq idées maîtresses, que Mearsheimer (1993-94) résume ainsi : (1) le monde est une arène où les États, placés en situation de concurrence les uns vis-à-vis des autres, rivalisent pour leur survie (souveraineté) ; (2) la stabilité du monde repose sur l'équilibre de la puissance, mesurée en termes de capacité militaire de destruction (sécurité) ; (3) les États sont rationnels dans leurs choix, mais ne connaissent pas les intentions des autres États (incertitude) ; (4) la coopération entre les États est possible, mais dépendante des gains qu'ils vont en tirer en termes de distribution du pouvoir dans le système international ; (5) les institutions internationales peuvent exister en tant qu'instrument de puissance, mais elles ne disposent d'aucune autonomie, sinon de celle que leurs octroient les États les plus importants du système international. Le modèle réaliste a pour lui le double avantage de la simplicité et d'une anhistoricité qui trouve son fondement, comme chez Hobbes, dans une conception pessimiste de la nature humaine. Il souffre par contre d'une incapacité congénitale d'expliquer le monde autrement qu'à travers l'État, la puissance et la potentialité toujours présente des Guerres, ce qui ne laisse en fin de compte aucune place ni aux questions économiques, ni à la coopération internationale ni à une quelconque évolution possible du système international en dehors de paramètres autres que ceux qui relèvent de la distribution de la puissance.

[81]. Cette question a récemment fait l'objet d'un important débat dans la revue International Security (Vol. 19, n. 3 et Vol. 20 n.1). Il a opposé John J. Mearsheimer à Keohane et Martin, à Ruggie et à Wendt, pour ne citer qu'eux. On retrouvera dans David et Benessaieh (1997) une présentation complète des débats qui entourent actuellement l'institutionnalisme en relations internationales. C'est à notre connaissance le premier article qui attaque de front l'épineuse question des rapports qui existent entre interdépendance, intégration et sécurité en relations internationales. Abordant cette question sous un angle différent, Bernadette Madeuf avait, déjà en 1986, dans un article publié par Review, proposé de résoudre le paradoxe dans lequel le chercheur se trouve d'avoir à choisir entre deux niveaux possibles d'analyse, celui des espaces nationaux ou celui de l'espace mondial. Cet article mérite encore aujourd'hui le détour.

[82]. On retrouvera une présentation détaillée de la théorie de la stabilité hégémonique et de celle des régimes dans Kébadjian (1994). L'ouvrage mérite le détour.

[83]. Les théoriciens de la stabilité hégémonique s'inspirent grandement de la théorie des biens collectifs internationaux développée par Kindleberger. La perspective est cependant différente. Kindleberger a toujours été préoccupé par deux questions fort dérangeantes pour tout économiste : puisqu'il est vrai que le libre-échange est porteur de progrès et de bien-être comment expliquer un tel écart entre les prescriptions normatives de la doctrine et le contenu des politiques commerciales ? comment éviter, en l'absence de toute institution supranationale, la dérive de ces politiques et l'apparition de situations de détresse comme celles qu'a connues le monde dans l'entre-deux-Guerres ? Rejetant l'explication usuelle de l'ignorance des lois économiques, Kindleberger préférera se tourner vers le modèle des groupes de pression pour répondre à la première question, et vers la notion de bien public, notion que par analogie il transposera dans le domaine des relations internationales, pour répondre à la seconde. Ce bien, en l'occurrence la stabilité, il reviendra à la nation la plus puissante d'en assurer la production, d'en assumer les coûts en contrepartie des avantages qu'elle même en tire, et d'en veiller au respect. Kindleberger partage le même pessimisme que les "néoréalistes" et sur le fond, les rejoint dans l'analyse des évolutions du système international. Toutefois, à la différence de ces derniers, sa théorie repose sur un concept central, celui de bien public international, et son approche s'inscrit dans une conception progressive de l'histoire. Il est intéressant de noter que lui-même a toujours été hésitant à utiliser la notion trop polémique d'hégémonie, préférant à celle-ci celles de "leadership" et de responsabilité de la part d'une grande puissance. Le leader serait à l'image de ce bon père de famille qui laisse un héritage à ses enfants, en l'occurrence dans le cas présent un système plus libre-échangiste.

[84]. C'est ce qui rend la théorie on ne peut plus que douteuse aux yeux de tout économiste libéral : d'une part, parce que les intérêts de puissance interfèrent avec les jeux du marché ; d'autre part, parce que l'espace politique international est un espace de concurrence imparfaite, pour ne pas dire monopolistique.

[85]. C'est précisément ce qu'entend démontrer l'étude commandée par la Western Governors' Association. Celle-ci montre clairement que l'AMI va à l'encontre des droits constitutionnels des États. La liste qu'elle dresse des mesures, règlements et législations en vigueur actuellement dans les États américains qui seraient affectés par l'AMI est tout à fait impressionnante.

[86] Susan Strange (1997).

[87]. On retrouve une nouvelle version de ce modèle à travers le modèle dits des "communautés épistémiques" développé par Haas.

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