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Le texte suivant porte sur les retombées sociales de l'intégration économique nord-américaine. Véritablement sous-estimé par ses détracteurs comme par ceux qu'il a laissé indifférents, l'Accord sur le travail dote néanmoins la région d'une structure institutionnelle dévolue aux travailleurs. Celle-ci, même si incomplète, est un premier exemple de l'inclusion d'une clause sociale à une entente initialement strictement commerciale.

Introduction

Malgré l'angélisme confiant des économistes libéraux, il n'est pas certain que le marché suffise à assurer l'épanouissement de tous. Ainsi, et lorsque des traités commerciaux intègrent des considérations sociales limitatives, c'est une version corrigée du libre-échange qui se propose.

Dans ce qui suit, nous tenterons de revoir le débat sur les effets sociaux de l'intégration économique nord-américaine d'une perspective formaliste, en donnant sens à une institution nouvelle, la Commission trinationale du travail, pour tenter d'en évaluer l'importance. Établie par l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT)[1], la Commission doterait la région d'une structure dévolue à la correction des effets sociaux du commerce, et ce, notamment sur le plan du droit des travailleurs. Pour procéder à cette évaluation, il s'agira de comprendre ce que recouvre l'entente sur le travail à l'aune de ce qu'inclurait une clause sociale greffée à un traité économique international comme l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT ou Accord général). Il ressortira de cette comparaison l'idée selon laquelle l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) est une première tentative dans la résolution d'un débat presque classique sur la nécessité de protéger les travailleurs d'une concurrence commerciale réalisée à leurs dépends.

L'ensemble des auteurs qui ont traité la dimension sociale de l'intégration économique sous-estiment véritablement l'existence et la portée du mécanisme juridique mis en place par l'ANACT[2]. Ce mécanisme a été établi dans une perspective de compromission entre, d'une part, les pressions critiques provenant des groupes sociaux opposés à l'entente et, d'autre part les pressions favorables à la signature d'une entente strictement économique. Partant de là, nous montrerons que l'existence de la Commission du travail dote l'ALÉNA d'un aspect politique, qui consiste en la légitimité

d'une structure régionale à intervenir pour limiter les effets sociaux de l'intégration économique. Ainsi, il sera considéré que L'ALÉNA participe de deux logiques superposées, l'une essentiellement économique et l'autre, politique, car favorisant le développement de structures juridiques encadrant le problème litigieux des retombées sociales de l'Accord[3]. Dans ce sens, on ne pourra plus prétendre que l'Accord répond à une logique strictement économique.

Le texte est divisé comme suit. Dans un premier temps, l'essentiel du débat soulevé par la perspective d'une charte sociale nord-américaine sera rappellé. Cette polémique aurait été résolue partiellement à travers la conclusion de l'entente sur le travail, dont nous décrirons le contenu en deuxième partie. Ensuite, les grandes lignes de la controverse sur la clause sociale sera exposée. Cet exercice sera utile à une meilleure compréhension des enjeux de la dimension sociale de l'intégration économique, car il y a coïncidence entre cette question dite régionale et la question plus vaste des retombées sociales du commerce international. Faisant cela, nous en viendrons au constat que l'ALÉNA est véritablement doté de ce que le Bureau international du travail a appellé l'amorce d'une clause sociale.

1. De la charte sociale aux ententes parallèles

Avant la signature des ententes parallèles, l'idée d'une charte sociale nord-américaine était en vogue. Projet idéaliste réprouvé par les puristes du libre-échange, il représentait pour quelques irréductibles une violation aux principes du marché libre[4]. Cette charte aurait transposé au niveau continental un système normatif qui faisait l'objet de négociations constitutionnelles au Canada, entre le gouvernement ontarien et l'instance fédérale[5]. D'un tout autre point de vue, certains économistes considèraient qu'une charte sociale à l'Européenne serait fondamentale pour restreindre un nivellement par le bas des protections sociales nord-américaines[6]. Enfin, et d'une manière plus nuancée, plusieurs auteurs favorables au libre-échange admettaient le fait que les faibles normes du travail mexicaines posaient un défi à l'ensemble de la région[7]. Mis à part quelques auteurs isolés comme Weintraub et Gilbreath (1993), qui proposaient une mobilité de la main-d'oeuvre régionale équivalente à la mobilité des capitaux[8], la ligne dominante consistait néanmoins à postuler que les normes de travail devraient s'accroître grâce aux mécanismes du marché, et ce sans intervention étatique[9].

Ainsi, et faisant écho aux débats portant sur les retombées sociales de l'ALÉNA, des mesures additionnelles[10] ont été négociées par l'administration américaine. D'une manière concrète, elles répondaient aux critiques des congressistes inquiets par la perspective de nombreuses pertes d'emplois[11] et aux craintes des groupes sociaux[12]. Ces accords ont satisfait certains, initialement acquis aux vertus du libre-échange, tandis que la tendance critique a conservé un scepticisme notoire.

2. L'Accord sur le travail

Pour l'ensemble des contempteurs de l'Accord sur le travail, celui-ci serait insuffisant, et ce principalement parce qu'il ne couvrirait pas les droits de liberté syndicale, qui posent particulièrement problème au Mexique, ou encore parce que la procédure de règlements des différends établie par l'entente serait par trop sophistiquée[13]. D'un autre côté, les auteurs favorables à l'ANACT estiment que celui-ci présente l'avantage d'exiger la mise en oeuvre effective des normes de travail nationales, tout en favorisant un échange d'informations, propice à la coopération, sur les différents systèmes législatifs[14]. Comme nous ne prétendrons pas donner raison au camp des satisfaits ou à celui de leurs opposants, voyons plutôt briièvement ce qui est couvert par l'Accord sur le travail.

Le texte original de l'ALÉNA est d'une ambiguïté frappante sur la question du traitement des travailleurs[15]. Hormis l'énoncé, en préambule de l'Accord, de trois objectifs généraux affirmant l'engagement des parties à promouvoir des normes sociales plus élevées, rien n'oblige les contractants à le faire, car les standards sociaux sont exclus de l'Accord. Néanmoins, le droit de la main-d'oeuvre a été l'objet d'une entente conclue ultérieurement, et sanctionnée en parallèle avec l'ALÉNA

L'Accord sur le travail débute sur une déclaration de nombreux principes[16], qui ne sont pas tous sanctionnables. En effet, seuls trois types d'abus peuvent déclancher les mécanismes correctifs établis par la Commission. Ils concernent le travail des enfants, la santé et la sécurité au travail et le salaire minimum[17]. Par ailleurs, les trois États s'engagent essentiellement à appliquer leurs propres législations du travail et à promouvoir leur amélioration[18]. Techniquement, la structure établie par l'Accord consiste en un Conseil des ministres du travail[19], supervisant un secrétariat de coordination internationale[20], qui administre à son tour trois bureaux d'administration nationale[21]. L'ensemble de la structure[22], la Commission de coopération dans le domaine du travail, assoit son autorité sur deux instruments. Le premier tient à l'engagement contractuel des trois parties signataires de coopérer sur les questions du travail et de ne pas abaisser leurs normes respectives de travail[23]. Le second consiste en des sanctions monétaires s'appliquant lors de violations répétées des normes couvertes par l'Accord[24]. Ainsi, on peut difficilement dire que la Commission soit dénuée de pouvoirs. Par contre, il reste à vérifier que ceux-ci soient véritablement employés[25].

Ceci étant, on peut se poser la question de savoir quel serait l'intérêt de faire respecter certaines normes fondamentales du travail. Cette interrogation nous amène à élargir le problème au niveau du commerce international, où la disparité des systèmes sociaux alimente une controverse sur la nécessité ou non d'imposer le respect de normes sociales minimales afin d'harmoniser les conditions de la concurrence.

3. La clause sociale

Du point de vue du commerce international, les échanges économiques entre pays aux normativités sociales différentes pose problème, dans la mesure où les faiblesses de l'un constituent un avantage concurrentiel sur l'autre[26]. Une harmonisation minimale des normes sociales permet, d'une perspective économique, de corriger une situation perçue comme étant de la concurrence déloyale. Par exemple et dans le cadre de l'ALÉNA, il serait à l'avantage des partenaires canadiens et américains de corriger les écarts existant entre leurs différents systèmes sociaux afin de normaliser la concurrence, fondée sur la compression des coûts sociaux, dont les salaires. Ainsi, une clause sociale rectifierait cette pratique de la restriction salariale en modifiant l'avantage comparatif dont disposent les pays qui en font usage. Dans leur perspective, cette mesure serait protectionniste, car elle viserait à protéger les industries des pays les plus riches d'une concurrence rendue possible grâce aux bas salaires des travailleurs des pays pauvres[27]. Du point de vue des pays industrialisés, une clause sociale permettrait de s'assurer que la concurrence économique internationale ne se traduise pas par des pressions accrues sur les normes de travail en vigueur. De hauts standards sociaux permettraient de promouvoir un développement économique basé sur la productivité, la spécialisation de la main-d'oeuvre et l'innovation technologique[28]. Par ailleurs, la nécessité de minimiser les écarts sociaux entre partenaires commerciaux se réfère également à des objectifs généraux de progrès social[29], c'est à-dire de développement économique associé à un mieux-être social, et non pas à une exclusion sociale croissante. Enfin, l'inclusion d'une clause sociale dans les traités économiques permettrait de s'assurer du respect de cette clause, car les ententes commerciales sont sanctionnables.

Le débat sur la clause sociale revient particulièrement en force depuis cette dernière décennie, avec les différentes propositions américaines appuyant l'adoption de cette mesure à l'échelle internationale[30]. Ainsi, la controverse sur la dimension sociale de l'intégration économique n'est pas un évènement isolé, mais participe d'une conscientisation plus internationale sur les effets sociaux du commerce[31]. De plus et peut-être ironiquement, cette conscientisation est alimentée par les différentes initiatives américaines en vue d'inclure des normes sociales dans leurs traités commerciaux[32], ainsi que leurs tentatives répétées d'inclure une clause sociale dans l'Accord général. Brièvement et selon un auteur-clé comme Hansson (1990), cette clause recouvrirait deux groupes de normes en matière de droit de travailleurs :

- Droits syndicaux : droit à la négociation collective et à la liberté syndicale;

- Conditions de travail : travail forcé, travail des enfants, discrimination à l'embauche, santé et sécurité au travail[33].

Moins ambitieusement, le même débat se pose au niveau nord-américain, alors que trois économies à stade fort différent de développement, se trouvent engagées dans un processus d'intégration. La création d'une région économique entraîne la réalisation d'un espace social régional[34], il s'agit dès lors de voir par quels moyens la régulation sociale y sera assurée. Selon quelques auteurs qui ont étudié spécifiquement l'ALÉNA du point de vue juridique[35], il existerait trois modes de régulation de l'espace social. Le premier consisterait en la négociation directe entre les partenaires sociaux, ce qui suppose l'existence d'un modèle commun de relations de travail, comme c'était le cas lors de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis dans le secteur de l'automobile (1965). Le second modèle proposé correspondrait à la mise sur pied d'instances supranationales ou communautaires, qui administreraient les normes sociales, à l'instar de l'exemple européen. Enfin, le troisième type de réglementation sociale serait issu d'une évolution spontanée des législations nationales vers un seuil commun. Pour Moreau et Trudeau (1992), l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ) relèverait du troisième mode de régulation. Pour Moreau et al. (1994), le principe premier de l'ALÉNA serait de << laisser le jeu du marché réguler les relations sociales >>, et ce, malgré l'ajout ultérieur d'ententes parallèles.

Toutefois et pour revenir à la clause sociale, il faut comparer ce que recouvrirait cette dernière à ce que ce contient l'ANACT pour dépasser les conclusions spontanéistes d'auteurs qui considèrent encore l'ALÉNA comme une simple entente commerciale et financière. C'est ainsi que les trois normes garanties par l'entente sur le travail font de cet accord une première ébauche de clause sociale, comme nous le verrons.

4. La portée sous-estimée de l'entente parallèle

Malgré ses faiblesses, l'ANACT présente certaines particularités qu'il est bon de souligner. Il est vrai que l'Accord n'établit pas de seuil commun portant sur les normes de travail et se contente de recommander aux parties le respect de leurs normes nationales. Toutefois, l'entente met en place les premières conditions de réalisation de ce seuil normatif commun, car il dispose de mécanismes coercitifs qui corrigeraient la dégradation des normes de travail actuelles.

Premièrement, l'unique obligation mise en place par l'entente parallèle qui consiste à exiger que chaque partie respecte effectivement ses normativités sociales est une concession majeure. En effet, le principal problème que présente le Mexique est de ne pas faire respecter ses propres législations portant sur le travail, qui sont particulièrement complètes[36]. Avec l'Accord, l'application des lois mexicaines fait l'objet d'une exigence régionale, ce qui est considérable[37]. Deuxièmement, on se rappellera le fait que l'Accord sur le travail permette la perception d'amendes sur trois types de violations, relevant des conditions de travail. Aucun accord international n'est parvenu à ce seuil, si ce n'est le cas exceptionnel de la Communauté européenne. Enfin, l'inclusion de dipositions relatives à la question de la rémunération est tout à fait particulière. Dans les débats sur ce que recouvrirait une clause sociale, les questions salariales ne sont pas abordées, car on considère généralement que les salaires sont relatifs au niveau de développement des pays visés, et qu'une harmonisation internationale est peu envisageable[38]. Ainsi, dans l'Accord sur le travail, la clause sur le salaire dénote une volonté de s'opposer à ce que certains auteurs critiques ont appellé la << maquiladorisation >> du Mexique, car le droit à une rémunération équitable constitue le droit le plus important sur le plan de la liberté économique des individus.

Néanmoins et pour tempérer nos arguments sur la portée satisfaisante de l'entente parallèle, les critiques adressées à l'accord sont justes lorsque sont invoqués les droits à la liberté syndicale, qui ne sont pas garantis dans l'Accord. Cela signifie qu'une amélioration des droits des travailleurs mexicains surviendrait par l'intervention de l'État et non par la libre négociation. On peut dès lors se poser la question de savoir pourquoi l'ANACT n'incluait pas les droits syndicaux dans ses normes sanctionnables. Il apparaît alors, en consultant le texte de l'entente, que l'accord ne peut légiférer sur des normes qui ne sont pas reconnues par l'ensemble des Parties[39]. Or le Mexique garantit le droit à la syndicalisation, mais avec certaines limitations qui en réduisent l'universalité. C'est ce pourquoi, en dernière mesure, l'ANACT n'a pu légiférer sur ces droits, sous peine de contrevenir au principe de respect de la souveraineté des États signataires.

Pour finir, l'Accord sur le travail met un accent particulier sur la coopération entre les États signataires. Faisant cela, son application est davantage liée à leur bonne volonté qu'à la menace de sanctions, somme toute fortement restreinte. Malgré cette caractéristique, l'accord ouvre le champs à une intervention politique régionale, fondée sur la consultation réciproque et l'échange d'informations. Le succès de cette ingérence possible du politique dans le marché continental dépendra, en dernier recours, et des pressions sociales internes et du volontarisme des États à réagir à ces pressions.

5. Éléments de synthèse

Malgré toutes les réserves que nous pourrions avoir, on peut considérer que l'ALÉNA correspond à une stratégie d'évolution spontanée des normes sociales vers un socle commun, tout en présentant des ambitions institutionnalistes. Dans ce sens, l'intégration économique nord-américaine relève de deux logiques : celle de l'intégration sociale régulée par une structure institutionnelle et celle de l'intégration sociale assurée par les forces du marché. D'une part, il existe bel et bien une structure juridique encadrant les questions relatives à la main-d'oeuvre. Imparfaite, cette structure consiste non pas en une institution représentative au dessus de la mêlée des États, mais en différentes instances, dont nous avons donné le détail plus haut. Cette structure est mise en place dans une perspective corrective, advenant le cas où l'intégration économique serait néfaste sur le plan du droit des travailleurs. D'autre part, l'intégration sociale nord-américaine est réalisée par le biais d'une intégration des marchés, c'est-à-dire une libéralisation progressive de l'activité économique régionale. Cette libéralisation est assurée par le marché, dans la mesure où il n'y a pas d'instance politique régionale appelée à administrer le processus d'intégration. L'ALÉNA recouvre une intégration de type hybride, car il est pourvu de mécanisme juridiques ayant la capacité de restreindre les effets dommageables de l'intégration économique sur les normes de travail de la région. Ainsi et malgré le verdict de nombreuses analyses, l'ALÉNA n'est pas un accord strictement économique. En fait et selon le Bureau international du travail dont nous partageons le jugement, l'ALÉNA est véritablement doté de ce que le Bureau appelle l'amorce d'une clause sociale[40].

Pour terminer, il est vrai que les normes arrêtées par la Commission n'ont aucune force de loi. Or, l'ensemble des ententes internationales présentent ce problème. Faut-il pour autant déclarer le droit international non-pertinent? Si la réponse est négative, alors on peut étudier une structure telle que la Commission du travail avec quelques égards. Ainsi, souligner le fait que l'Accord sur le travail constitue un premier pas encourageant ne signifie pas adhérer à une vision flatteuse et satisfaite de l'intégration économique. En fait, à ceux qui préfèrent décrier ce que l'entente pourrait être, nous avons préféré mettre l'accent sur ce qui est déjà. En ajoutant que c'est un bon début de parcours; certes, à parfaire[41].

Conclusion

L'enjeu de cette réflexion était de combler une lacune particulièrement présente dans le débat économique sur les effets sociaux du libre-échange. L'ensemble des auteurs consultés sur cette question commentent peu la portée de l'entente parallèle. Ils en signalent parfois l'existence, pour s'en déclarer satisfaits ou mécontents. A priori, les auteurs acquis aux vertus du libre-échange considèrent que l'avantage majeur de l'entente parallèle est de ne pas restreindre indûment les libéralisations commerciales en cours. Les auteurs critiques, quant à eux, considèrent que l'Accord sur le travail est incomplet, car il ne concernait pas certaines mesures qu'il aurait pu inclure.

Lorsqu'on compare le débat sur les retombées sociales de l'ALÉNA à celui sur la clause sociale, l'éclairage nouveau consistait à remarquer que l'Accord, malgré toutes les critiques qu'on pourrait formuler sur ce qu'il ne contient pas, met véritablement en place une structure régionale dévolue aux problèmes sociaux générés par le processus d'intégration économique. Partant de là, l'hypothèse principale consistait à poser l'ALÉNA comme un traité répondant à deux logiques : celle de l'intégration économique assurée par le marché et celle de l'intégration économique politiquement encadrée. L'implication majeure de cette proposition nous amènerait à réfuter l'idée selon laquelle l'Accord correspond à un projet strictement économique. De plus, l'intégration économique nord-américaine entraîne une certaine forme d'intégration sociale non spontanée, puisque régie par une institution régionale à vocation corrective.

On peut envisager l'issue du débat sur les retombées sociales du libre-échange comme un demi-succès pour les uns et les autres. Les libres-échangistes auraient obtenu leur entente économique et leurs opposants, une structure minimale permettant d'adresser les problèmes relatifs aux normes de travail. Cette structure, nous l'avons souligné, correspond à une concession considérable de la part du partenaire mexicain. Dans cette optique, la portée de l'entente sur le travail ne peut plus être considérée comme étant d'un intérêt marginal, bien au contraire.

Par ailleurs, le fait que des normes sociales ait été ajoutées à l'ALÉNA n'est pas un hasard. Le respect de certains droits de la main-d'oeuvre constitue un élément de la politique extérieure américaine qui n'est pas dénué d'importance. Outre les motifs protectionnistes et philanthropiques, il s'agit d'un sujet essentiellement politique qui permet de promouvoir à la fois le commerce dans sa version libérale, et les gains sociaux qui lui seraient ajoutés. En somme, les clauses portant sur le droit des travailleurs seraient une mesure destinée à encourager les adhésions à une conception libérale du commerce.

En outre, et pour le cas du Mexique, l'essor des conditions sociales nationales est un élément de stabilisation socio-politique visant à prévenir les désordres sociaux et les mouvements migratoires illégaux, un objectif particulièrement important pour tempérer les problèmes de sécurité fontaliers. Toutefois, l'amélioration des normes sociales au Mexique est moins promise par l'existence d'un Accord sur le travail régional, dont l'efficacité demeure à vérifier, que par la croissance économique survenant grâce aux flux marchands, serviciels et financiers accrus par la sanction du traité de libre-échange.

C'est ainsi que, loin de conclure au caractère ultimement satisfaisant des clause sociales telles que proposées par les États-Unis, il conviendrait plutôt de souligner leur fonction promotionnelle, ce qui n'oblige guère à une véritable opérationnalité, comme on peut le voir dans l'ALÉNA.

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Note : certaines références ont été données au complet dans le texte. Il s'agit de documents qui ne portaient pas spécifiquement sur la dimension sociale de l'intégration économique, mais dont l'usage nous était utile pour définir certains termes ou suggérer certaines discussions.

[1]. Ci-après Accord sur le travail, entente parallèle ou accord parallèle.

[2]. Lire, pour l'exposé des positions critiques les textes de Campbell (1993); CQNT (1993); Faux et Lee (1993); Grinspun (1993); Paquette (1995) et Stanford (1993). Pour connaître les analyses favorables au libre-échange, démontrant une certaine satisfaction quant au contenu des ententes parallèles, voir les travaux de Hufbauer et Schott (1993); Morici (1992); de Boer et Winham (1993) et aussi Watson (1993).

[3]. À la manière de Laperrière (1995), p. 118, on peut définir le droit comme << l'expression privilégiée de la souveraineté étatique >>, ce qui explique le caractère politique que nous donnons à l'établissement d'une structure régionale juridique.

[4]. On peut retrouver cette vision d'une charte sociale comme un facteur de perturbation du libre jeu marchand chez des auteurs comme Hufbauer et Schott (1993) et surtout Watson (1993).

[5]. Sur ce qu'aurait recouvert une éventuelle charte sociale canadienne, on lira Brunelle et Deblock (1994), qui donnent les grandes caractéristiques du projet, et surtout Trautman (1994), qui se livre à une analyse plus spécifique de la charte, augmentée d'une étude des partis politiques favorables au projet.

[6]. Sur la nécessité de pourvoir la région nord-américaine d'une véritable charte sociale, voir les travaux d'auteurs critiques comme Campbell (1993); Faux et Lea (1993) et Stanford (1993).

[7]. Le point de vue tempéré de certains auteurs favorables au libre-échange qui reconnaissent toutefois l'importance d'inclure certains paramètres sociaux à l'ALÉNA peut être lu chez des auteurs comme De Boer et Winham (1993); parfois Morici (1992), et surtout Weintraub et Gilbreath (1993).

[8]. "The ability of labor to move freely is the most important social right that can be granted. (...) "Social dumping", the establishment of industries in Mexico to take advantage of lower work standards, could be frustrated if the workers themselves were able to move freely to the United States and Canada." (Weintraub et Gilbreath, 1993, p. 73). Cette idée est également mise de l'avant par des groupes, comme parfois Action Canada Network (ACN) et souvent le Réseau mexicain d'action face au libre-échange (RMALC).

[9]. Pour un exposé particulièrement axé sur la nécessité de restreindre l'intervention étatique sur le marché du travail, lire Watson (1993).

[10] . Il s'agit des ententes parallèles, l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement et l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail. L'accord sur le travail, dont nous traitons ici, a été signé le 14 septembre 1993 par les trois chefs des gouvernements (Bill Clinton, Carlos Salinas de Gortari et Kim Campbell) dans leur capitale respective. Cet accord vise essentiellement à encourager le maintien des législations du travail internes. Dufour (1995), p. 280, note 16, rappelle les trois objectifs généraux énoncés dans cet accord : << (i) améliorer les conditions de travail et le niveau de vie des travailleurs sur le territoire de chacunes des parties, (ii) encourager la coopération pour favoriser l'innovation et accroître les taux de productivité et de qualité, et (iii) promouvoir l'observation et l'application efficace, par chacunes des Parties, de sa législation du travail. >> Pour une historique des négociations qui ont précédé la signature des ententes, lire Mascino (1995), pp. 4-6, économiste principal au Secrétariat de coordination interne, et Morpaw (1995), pp. 35-36, directrice du Bureau d'administration nationale (BAN) canadien. Pour connaître les facteurs qui ont influencé le vote au Congrès portant sur l'ALÉNA et les ententes parallèles, voir Kahane (1996), pp. 45-48.

[11] . Selon l'expression de Ross Perot, candidat républicain aux élections présidentielles de 1992 : "The giant sucking sound from the south". Cette inquiétude face aux pertes d'emplois que provoquerait l'Accord est bien évaluée par un auteur comme Kahane (1996), qui analyse quantitativement l'importance donnée par les membres du Congrès aux thèmes de l'emploi, de l'immigration et de l'environnement. De cet ensemble, c'est la question de l'emploi qui a retenu le plus d'attention.

[12]. Voir Robinson (1994), pp. 673-677, qui dresse une liste exhaustive des organisations populaires et syndicales qui se sont prononcées contre l'entente. Sur la position et l'influence des syndicats américains lors des négociations de l'ALÉNA et des ententes parallèles, consulter Jenning et Steagall (1996), pp. 64-75. Les alternatives proposées par les organisations d'opposition canadiennes sont bien résumée par le sécrétaire général de la Confédération des syndicats nationaux, dans Paquette (1995), pp. 97-100. L'action des groupes sociaux mexicains et des partis politiques critiques est rapidement décrite par Zinser (1994), pp. 124-125; aussi, les alternatives les plus intéressantes proposées par l'ensemble des groupes sociaux sont bien synthétisées dans ces pages. Pour un tableau d'ensemble des différents groupes sociaux qui se sont organisés régionalement pour s'opposer à l'entente, lire Ambruster (1994), p. 79 et suivantes.

[13]. Pour plusieurs auteurs, dont Stanford (1993), Weston (1993) et Grinspun (1993), l'Accord sur le travail est une entente purement formelle, qui ne garantit pas suffisemment une amélioration des standards sociaux de la région. Grinspun (1993), p.15, dit de cet accord qu'il ne serait qu'un faux-semblant : (...) "A face-saving set of unenforceable principles and inadequate institutions". Par ailleurs, le mécanisme de règlement des différends établi par l'entente est également critiqué par l'ensemble de ses opposants. Le principal argument consiste à souligner la longueur des procédures (il peut s'écouler jusqu'à 1435 jours entre le dépôt d'une plainte et l'établissement d'une amende) et le nombre restreint de normes auquelles elles s'appliquent.

[14]. Laperrière (1995), p. 113, insiste surtout sur l'exigence posée l'ANACT sur la question du respect effectif de la législation interne des Parties signataires. Sur l'échange d'informations et la coopération établie entre les partenaires, autre avantage majeur de l'entente, lire Laperrière (1995), p. 112 et Vallée (1995), p. 80. Sur le plan du processus de règlement des différends, les juristes qui se prononcent en faveur de l'ANACT reconnaissent toutefois les faiblesses de l'entente. Dans l'ANACT, la sanction ne constitue qu'un ultime recours et non pas un instrument de renforcement véritablement opérationnel de l'accord. Laperrière (1995), p. 114, estime que : << Le degré de preuve requis pour enclancher le processus de sanction, notamment celle de caractère systématique des violations, semble vouer une bonne partie des plaintes à l'échec. >>

[15] . Le préambule de l'Accord contient, sur 15 points, trois points consacrés au développement des standards sociaux. Ainsi, les trois pays signataires sont tenus : << 10. De créer de nouvelles possibilités d'emploi et d'améliorer les conditions de travail et le niveau de vie sur leur territoire respectif; 13. De promouvoir le développement durable; 15. De protéger, d'accroître et de faire respecter les droits fondamentaux des travailleurs. >> Voir Préambule, Accord de libre-échange nord américain (1993). Ces déclarations n'ont pas valeur de loi et demeurent des engagements sur la foi des chacun des pays signataires. Dans le texte de l'Accord, aucun article, si ce ne sont ceux concernant la mobilité d'une catégorie très précise de main-d'oeuvre (comme les gens d'affaires et le personel spécialisé), ne fait mention du droit des travailleurs. Même l'environnement a un traitement minimal, lorsqu'il est dit que les standards environnementaux ne peuvent être réduits de façon à distorsionner la concurrence. Voir, pour les catégories de main-d'oeuvre autorisées à se mouvoir, Philip Martin (1993), Trade and Migration : NAFTA and Agriculture, Washington, D. C., Institute for International Economics, 158 p., qui fait par ailleurs une excellente analyse des dimensions politiques de l'Accord, dans lesquelles il donne priorité aux phénomènes des migrations illégales entre le Mexique et les États-Unis. Voir, pour l'aspect environnemental et de son traitement dans l'Accord, une analyse sobre du U.S Trade Office Representative (1993), The NAFTA : Expanding U.S. Exports, Jobs and Gowth, Report on Environmental Issues, Washington, D. C., Government printing office, novembre, 153 p.

[16] . Ces onze principes sont les suivants : liberté d'association, droit à la négociation collective, droit de grève, interdiction du travail forcé, interdiction du travail des enfants, normes minimales d'emploi (salaire), égalité de rémunération entre hommes et femmes, prévention des maladies professionnelles et des accidents de travail, indemnisation en cas d'accidents de travail ou de maladies professionnelles et protection des travailleurs migrants (RIT, 1994, p. 125). Voir aussi ANACT, Annexe 1, << Principes relatifs au travail >>.

[17]. ANACT, articles 27 (1) et 29 (1). Le mécanisme coercitif de la Commission intervient lorsque le groupe arbitral nommé par le Conseil vérifie que la norme enfreinte l'a été de << façon systématique >> (article 29 (1), que celle-ci se rapporte au commerce (article 29 (1a) et qu'elle est couverte par des lois du travail mutuellement reconnues (article 29 (1b).

[18]. Voir ANACT, articles 1a et 2.

[19]. ANACT, articles 9 à 11.

[20]. ANACT, articles 12 à 14.

[21]. ANACT, articles 15 et 16.

[22] . L'ensemble de la Commission est établi par la Partie III de l'ANACT, article 8. Dans un document étudiant les ententes parallèles (CQNT, 1993), la CQNT décrit avec précision le fonctionnement de la Commission de coopération dans le domaine du travail (appellée aussi Commission trinationale du travail). Le secrétariat interne de coordination, assistant le Conseil, réunit, publie des informations et coordonne l'ensemble des activités de la Commission. Chaque pays dispose également d'un Bureau administratif national (BAN), qui reçoit les plaintes, les analyse et les achemine (lorsqu'elles sont acceptées), au secrétariat interne. Le mécanisme contraignant prévu par l'accord est effectif lorsque les pays concernés par un litige ne parviennent pas, par la consultation et le dialogue, à régler ce différend. Dans ce cas, et sur vote de deux membres sur trois du Conseil, un groupe spécial fait enquête et propose un plan de correction. Enfin et au bout de toutes ces démarches administratives, si la correction n'est pas respectée, une compensation monétaire est exigée. On peut résumer le processus de règlement des différends en cinq étapes distinctes : consultation entre BAN, consultation ministérielle, évaluation comparée indépendante, dernière consultation, et enfin, recours aux procédures de règlement des différends. De nombreux articles ont décrit le fonctionnement de la Commission. Parmi ceux-là, on pourra consulter la synthèse offerte par le Bureau international du travail, dans RIT (1994), pp. 125-127; l'excellent article du juriste Ruhnke (1996), pp. 932-934, l'analyse descriptive de Gudino (1995), l'ensemble de l'analyse de Mascino (1995) et de Vallée (1995), ou encore Morpaw (1995), qui se penche essentiellement sur le fonctionnement des BAN. Pour une vue d'ensemble de l'organigramme de la Commission, voir le schéma en annexe.

[23] . Sur la coopération, esprit essentiel de l'accord, voir ANACT, Partie I, Objectifs c et e. Sur l'obligations d'améliorer les normes de travail, lire l'article 2. Voir aussi l'article de Mascino (1995), dans lequel l'auteur insiste particulièrement sur l'approche coopérative mise de l'avant par l'ANACT.

[24] . Lire ANACT, Partie V (Règlement des différends), et les Annexes 39 et 41B. Ces sanctions peuvent aller jusqu'à 20 millions $US pour la première année et ne pourront pas dépasser 0,007% du total des échanges trinationaux de marchandises pour les années subséquentes.

[25] . Il existe peu d'études portant sur l'efficacité de la Commission à régler les différends survenant sur le respect des normes de travail couvertes par l'accord. La Commission devrait procéder à une évaluation de ses activités en 1998. Toutefois, quelques études mentionnent déjà l'existence de cinq cas de litige (en avril 1996), qui n'ont pas été acheminées jusqu'au Conseil ministériel car elles concernaient toutes des questions relatives à la liberté syndicale, questions qui peuvent faire l'objet de recommandations mais qui ne sont pas susceptibles d'être sanctionnées par des mesures finacières ou commerciales. Parmi ces cinq cas, les deux premières auraient été rejetées par le BAN américain, tandis que les autres ont fait l'objet de rapports. Pour l'exposé des cas de litige, consulter l'article critique de Vanderbusch (1996), p. 82; Gudino (1995), p. 253; Mascino (1995), p. 23; Ruhnke (1995), p. 937; ou encore Vallée (1995), pp. 57-58 pour le cas (Sony) soumis au Conseil ministériel et les deux autres, (Honeywell et General Electric company) qui ont seulement fait l'objet de rapports. Pour des informations techniques concernant le traitement de ces cas par le BAN américain, consulter États-Unis (1994), Bureau administratif national, Public Report on Review, NAO Submission #940001 (Honeywell) et NAO Submission #94002 (General Electric), bureau des Affaires internationales, département international du Travail, 12 octobre, 33 pages plus annexes, et États-Unis (1995), Bureau administratif national, Public Report on Review, NAO Submission #94003 (Sony), bureau des Affaires internationales, département international du Travail, 11 avril, 33 pages plus annexes.

[26]. << Selon le degré de diversité des systèmes sociaux en place, l'espace économique intégré risque d'être soumis à des normes à caractère social hétéroclites, disparates et qui favorisent des distorsions dans les conditions de la concurrence. >> (Moreau et Trudeau, 1992, p. 359)

[27]. Au sujet du repli protectionniste que pourrait recouvrir une éventuelle clause sociale, on pourra lire Brand et Hoffman (1995); Hansson (1990); et surtout Van Liemt (1989), du Bureau international du travail.

[28] Mascino (1995) se réfère à l'ouvrage du secrétaire au Travail américain Robert Reich (1991), The Work of Nations, Alfred A. Knopf, New York, pour expliquer la perspective défendue par les États-Unis dans la promotion de paramètres sociaux inclus dans les traités économiques. Cette perspective s'inspire essentiellement de l'idée selon laquelle les pays industrialisés doivent s'adapter à la mondialisation en favorisant le développement de leur productivité et de la qualité des biens produits, ce qui signifie qu'un effort doit être mis sur la formation de la main-d'oeuvre, le développement de crénaux à forte valeur ajoutée et l'instauration de relations de travail basées sur la coopération en vue de ces objectifs. C'est ce que Reich appelle une stratégie d' << adaptation par le haut >> à la mondialisation, qui éviterait que la concurrence internationale soit basée sur les coûts les plus faibles et les baisses salariales. Cette perspective est aussi celle défendue par un auteur comme Michael E. Porter (1990), Le Canada à la croisée des chemins. Les nouvelles réalités concurrentielles, ministre des Approvisionnements et services, Ottawa. D'autre part, Mascino (1995), p. 19, reprend Reich pour expliquer l'intérêt qu'il y aurait à défendre le projet américain d'une clause sociale : << La protection des droits fondamentaux des travailleurs encouragerait les entreprises à adopter des stratégies de concurrence à forte productivité >>, écrit-il.

[29]. La clause sociale comme un instrument du progrès social est une thèse bien argumentée par des auteurs comme Besse (1994); Charnovitz (1987); ou encore Servais (1989).

[30]. Sur la récurrence du débat sur la clause sociale et sur l'importance des États-Unis comme acteur central dans ce débat, lire Charnovitz (1987) et Dufour (1995).

[31]. Cette conscientisation internationale sur les effets sociaux du commerce s'illustre particulièrement par l'attention donnée à ce thème par les organisations internationales. En tête de file, l'Organisation internationale du travail (OIT), a créé en 1994 un groupe de travail sur ce sujet. Puis, selon Mascino (1995), p. 12, l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), a entrepris en 1994 une étude approffondie sur les liens entre commerce et emploi, qui serait achevée en été 1996. Également, le dernier sommet du G-7 a été le lieu d'un débat sur la clause sociale. Enfin, l'OMC, à sa création, a identifié le sujet

<< commerce et travail >> comme étant un des thèmes dont l'organisation devait traiter dans le futur. Toutefois, aucun consensus n'a encore émergé pour établir la nécessité de cette réflexion, ce qui signifie que l'OMC est un acteur marginal dans le débat sur la clause sociale.

[32]. Depuis 1983, les États-Unis ont conclu environ cinq traité commerciaux incluant des dispositions sociales. L'Initiative concernant le Bassin des Caraïbes (1983) attribue des préférences commerciales supplémentaires à certains pays respectant des conditions de travail minimales. La Loi sur la Société pour les investissements privés outre-mer (1985) supprime la garantie accordée aux investissements réalisés dans des régions où les conditions de travail sont jugées insatisfaisantes. Le renouvellement du Système de Préférences généralisées (1988) ajoute un article sur les droits sociaux, dont le sanctionnement est accordé au président américain. L'Omnibus Trade and Competiveness Act intègre des considérations sociales. Enfin, L'Accord sur le travail de l'ALÉNA participe des mêmes principes de renforcement des normes sociales par les traités économiques. Pour une discussion plus complète concernant ces mesures, voir Charnovitz (1987), pp. 637-652; Dufour (1995), pp. 279-280 et Van Liemt (1989), pp. 481-485.

[33]. Ces normes correspondent à des conventions issues de l'OIT. Soit, respectivement, les conventions 98 87, 29/105, 138, 100/111 et diverses conventions pour la santé et sécurité au travail.

[34]. << La création d'une zone économique élargie et intégrée entraîne ipso facto la réalisation d'un espace social correspondant. Les relations sociales et le systèmes de protection sociale en place dans cet espace seront perturbés par l'abolition des frontières et des barrières économiques. Ces perturbations peuvent provenir à la fois du dumping social, de la déréglementation, des restructurations, des relocalisations et des fermetures d'usine, de la précarisation des emplois et de la détérioration des conditions de travail. >> (Moreau et Trudeau, 1992, p. 377)

[35]. Au Québec, l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal dispose de quelques chercheurs spécialisés sur l'ALÉNA, dont le plus prolifique est Gilles Trudeau. Voir Moreau et al. (1994); Moreau et Trudeau (1992) et Vallée (1995). À L'Université du Québec à Montréal, le Département de sciences juridiques est aussi pourvu d'un groupe de recherche s'intéressant à l'ALÉNA. Il s'agit du Centre d'études sur le droit international et la mondialisation, dont est issu Laperrière (1995).

[36]. Une des lacunes les plus importantes dans la législation mexicaine consiste en l'absence des droits de négociation collective et de liberté syndicale. Ces deux normes sont fondamentales, mais on peut croire que les respect des normes relatives aux conditions de travail est déjà un premier pas considérable. Pour un tableau d'ensemble exhaustif de la législation mexicaine en matière de travail, consulter Dan La Botz (1992), << Labor Rights and the Law >>, dans Labor Suppression in Mexico Today, Montréal, New York, Black Rose Books, an International Labor Rights Education and Research Fund Book, pp. 39-60. Lire aussi Zamora (1993), p. 430, qui dénombre l'ensemble des lois mexicaines sur le travail.

[37] Cette exigence régionale a été appellée par un auteur comme Zamora (1993) << l'américanisation des lois mexicaines >>, c'est-à-dire une refonte du système mexicain à l'image des législations américaines, encouragée à travers des pressions sur le gouvernement mexicain pour adopter des solutions américaines aux problèmes sociaux et économiques locaux. Par ailleurs, Laperrière (1995), p. 113, considère que l'insistance de l'ANACT à examiner la mise en oeuvre interne effective des normes nationales existantes constitue l'obligation la plus prometteuse de cet accord.

[38]. C'est notamment l'idée défendue par le Bureau international du travail dans BIT (1994); que l'on retrouve aussi chez un auteur comme Hansson (1990), qui s'oppose à l'introduction de normes salariales dans une éventuelle clause sociale.

[39]. ANACT, article 29 (1b).

[40]. Dans RIT (1994), pp. 124-125. Cette idée de l'ANACT comme une amorce de clause sociale est aussi défendue par Mascino (1995), p. 3.

[41]. Mascino (1995), défend un point de vue similaire lorsqu'il écrit : << L'ANACT, en dépit de son champs d'intervention assez modeste, semble constituer une innovation "réaliste" et réalisable, en dépit de l'importance qu'elle accorde à la bonne volonté des États signataires. >> (pp. 18-19) Et plus loin : << Rejeter les possibilités offertes (...) par l'ANACT sous prétexte qu'elles sont encore assez modestes revient à laisser le champ libre aux libre-échangistes qui veulent limiter les rapports internationaux aux échanges commerciaux. >> (p. 30)

 

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